"Ivan Jablonka, Laëtitia ou la fin des hommes", lu par Maia Baran

Parce qu'elle n'existe qu'au moment d'être la victime de son meurtrier, la jeune Laëtitia n'existe pas. Tout ce qu'elle a vécu avant et tout ce que ses proches, dont sa sœur jumelle, vont vivre dès son décès, cela n'existe pas. La chronique des faits-divers va retenir le nom du tueur (Tony Meihlon), les carences de la justices (il n'a pas eu le suivi judiciaire qu'il aurait mérité...), une récupération par les politiciens (Nicolas Sarkozy est nommément mis en cause pour avoir instrumentalisé à chaud le drame familial), mais l'histoire vraie de la jeune fille un peu perdue qui aura été percutée en scooter, enfournée dans le coffre de la Peugeot 106 volée, conduite dans le repaire si mal nommé (le violeur gîte au lieu-dit "casse pot"...), étranglée à mort, découpée, jetée au fond d'un lac... cette histoire, si douloureuse, avait besoin d'un récit magnifique pour sortir de sa fange et atteindre à l'humanité. 

Ivan Jablonka retrace le roman vrai de cette petite Laëtitia, son enfance entre des parents déchirés, ses placements avec sa sœur jumelle dans des familles d'accueil au gré des décisions de l'Aide Sociale à l'Enfance, sa rencontre avec la famille Patron qui coïncide en même temps avec le début d'une vraie vie sociale (des amis, un espoir avec sa formation en alternance et son travail en toute confiance dans l'hôtel proche, des amoureux, peut-être un peu trop) et les abus sexuels de son tuteur sur sa jumelle, donc sur elle-même... La paix dans le crime, le poids de son histoire personnelle ne peut que conforter cette image insoutenable d'une femme qui doit obéissance sexuelle à son mari, supporter ses coups, ses beuveries, ses humeurs... L'espoir de briser ce cercle infernal sera écrasé par la violence définitive d'un violeur récidiviste... 

Tout le travail de Jablonka est de reconstruire les strates d'humanité de Laëtitia, de ses proches, et de retracer son parcours de vie dans les moindre détail, cumulant les témoignages grâce à son discours initial : pas une enquête journalistique, mais un effort philosophique pour comprendre. Comment extraire du néant cette vie, comme lui donner en lettres ce qu'elle n'a pas pu avoir en vie, le respect.

La lecture du roman de Jablonka par Maia Baran, actrice spécialiste du doublage, est bouleversante, parce que sa douceur gomme l'aspect immédiatement violent du récit pour au final lui permettre de s'infiltrer plus fortement dans le lecteur. Cette lecture magistrale est une leçon, à méditer pour qui veut troubler son auditoire sans grands effets mais avec une efficacité brute et noble. 



Loïc Di Stefano

Ivan Jablonka, Laëtitia ou la fin des hommes, lu par Maia Baran, audiolib, février 2017, 1 CD, durée 11h12, 

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