Augusto Roa Bastos, Le Tonnerre entre les feuilles : Terrifiantes rivières
Ne cachons pas notre surprise : l'on s'attend à un roman, et c'est un recueil de contes et de nouvelles ; l'on craint que la traduction soit infidèle, et elle s'avère magnifique et excessivement soignée, pourvue d'un vaste appareil de notes de l'excellent Éric Courthès.
Augusto
Roa Bastos est beaucoup plus connu pour Fils d'homme (1960)
et pour Moi le Suprême, (1974)
qui faisait un portrait assez effrayant du dictateur Rodriguez de
Francia, alors même que la dictature de Stroessner sévissait
encore. Roa Bastos dut se cacher, se réfugier en France, où l'on
apprend qu'il fut professeur de littérature latino-américaine et de
guarani à Toulouse Le Mirail.
Comme souvent parmi les nouvelles des grands auteurs d'Amérique du sud, on en trouve une douzaine de bonnes, et une seule qui soit mémorable. Ici, ce sont plutôt seize nouvelles excellentes, et une qui est extraordinaire. « Cigarette Mauser » est belle et inquiétante, « Les rogations » n'est pas mauvaise, « Le tonnerre entre les feuilles » est très belle et triste et lunaire, mais surtout « Le peuple du cabiai » est magnifique, exceptionnelle, envoûtante.
C'est l'histoire d'une petite fille, Gretchen, de parents allemands, qui vit à l'orée de la jungle, la grande forêt profonde et noire. Un beau jour, elle aperçoit les hommes qui descendent le fleuve dans leurs pirogues : c'est le peuple des Hommes de la Lune, ces pêcheurs à la peau cuivrée qui chassent aussi le cabiai, énorme rongeur gras et sot. Et dès qu'elle a vu ces hommes glisser sur le fleuve, elle sait qu'elle les suivra. Même si son papa l'aime beaucoup, s'est tatoué son visage de fillette sur son torse, même si sa maman est gentille, se donne la peine de la rassurer lorsqu'elle aperçoit de petits singes effrayants, même si une enfant doit rester avec ses parents, dans ce qu'on appelle une famille, la petite veut partir, être enlevée, être ravie. Par eux. Par ces hommes du fleuve.
« Elle voit la rivière qui brasille, comme tatouée de lucioles. » Vont-ils s'arrêter chez eux ? Peut-être l'un d'eux, blessé, viendra-t-il se faire soigner ? Et si, un court moment, leurs embarcations abordaient cet humble rivage, et si le peuple du cabiai l'emmenait ? « Elle court vers la falaise. Le faufil des pirogues se perd déjà dans le coude de la rivière, entouré de bûchers flottants. » Oui, mais quelle est celle qui court, et voit les barques disparaître ? La fillette, ou sa mère ? Nous ne déflorerons pas ici la fin de cette nouvelle sublime.
(El trueno entre las hojas, si terrible et inquiétant, fuligineux, superbe, a été adapté au cinéma en Argentine, par Armando Bó, en 1956. Peut-on encore voir ce film ?)
Le reste du recueil est presque d'aussi belle facture. Des hommes pauvres meurent de faim et pleurent. Des femmes belles comme des fées errent dans les marais. Quelques personnages se retrouvent d'une nouvelle à l'autre, d'un conte à une sotie, et toujours le tragique, le poignant, le monde des couteaux et des sabres luit sous la plume de Roa Bastos.
Il va falloir relire les autres livres de cet écrivain-là.
Bertrand du Chambon
Augusto Roa Bastos, Le Tonnerre entre les feuilles, traduction, notes et préface d’Eric Courthès, éditions Orizons, oct. 2012, 242 pages. 23 €.
8 commentaires
Très belle critique. Merci beaucoup, cher Bertrand. Je m'en vais de ce pas acheter ce recueil ! Glen C.
Waouh, vous m'avez donné envie de le lire.
http://www.youtube.com/watch?v=p6P-TXCk-lg
https://www.facebook.com/pages/%C3%89ric-Courth%C3%A8s/133819223383673?fref=ts
Bel article et agréablement surprise de voir qu'une traduction des contes de Roa Bastos a enfin été proposée à l'édition! A lire de toute urgence pour une plongée dans le monde guarani!
MERCI ELODIE JOLIE.... JE DONNE DES COURS DE PLONGÉE EN APNÉE TEXTUEL...
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