L’Art d’écosser les haricots ou la litote façon polonaise

Wieslaw Mysliwski est un auteur reconnu dans son pays ; d’ailleurs ce roman lui valu, à sa sortie en 2006, le prix Nike, le Goncourt de Pologne en quelque sorte… Sauf que ce pays connaît encore la valeur littéraire et ne décerne point de récompenses à des auteurs se vautrant dans le divertissement comme il sied désormais dans l’hexagone. Nous sommes donc bien en présence d’une œuvre majeure de la littérature contemporaine.

Ainsi Mysliwski se plait-il à embarquer son lecteur dans un drôle de conte, sorte de roman philosophique entre la farce et l’épopée, narrée tout simplement autour d’une table, en écossant des haricots. Et pourquoi pas ? D’un côté nous connaissons les aventures d’Ulysse qui traverse les continents et les mers déchaînées ; de l’autre nous découvrons cet homme revenu de tout – des horreurs de la guerre, de l’école soviétique, de la musique, des femmes, de l’amour – qui veille sur un hameau de résidences secondaires autour d’un lac perdu dans les forêts du nord-est, à la frontière avec le Bélarus…

 

On ne résumera donc point ce qui ne peut l’être tant chaque page regorge de trésors et de personnages secondaires haut en couleur, du maître de musique alcoolique au magasinier mélomane, de l’infirmière qui le sauva et le faisait veiller à sa tranquillité quand elle se baignait nue dans les rivières à l’invalide qui lui offrit son premier contrat dans un orchestre, tout un aréopage pétillant de vie dans un univers aussi absurde que celui de Kafka (la rencontre inopinée d’un passant qui se solde par une conversation dans un salon de thé ) ou décalé (la description des voyages en train est savoureuse) à la manière de Gombrowicz.


Mysliwski revient sur le pourquoi de la vie à travers le destin déchiré de son narrateur qui, faux désabusé mais vrai hédoniste, parvient à tirer partie des infimes détails qui enluminent le déroulement routinier, en apparence, de ses journées. Heureux d’un trille entendu lors d’une promenade avec ses deux chiens ou d’un reflet du soleil sur le lac, il laisse le monde faire faillite et rejoint la Nature dans ce qu’elle a de plus majestueux.

 

Il n’y a pas qu’en politique où il est plus qu’urgent de comprendre qu’il faut regarder à l’Est si l’on veut avoir encore une chance de nous sauver. Après avoir passé l’été avec Le Maître et Marguerite et savourer ma rentrée dans les pages des Envoûtés comme dans la peinture du Cavalier bleu j’ai enfin pu recouvrer un goût de l’existence, un bonbon acidulé à sucer quand l’absurdité du quotidien se fait trop pesante… Et Noël fut finalement un enchantement entre les dunes givrées du Touquet et la lecture de ce captivant roman.

 

François Xavier

 

Wieslaw Mysliwski, L’Art d’écosser les haricots, traduit du polonais par Margot Carlier, Babel, octobre 2016, 510 p. – 10,70 euros

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