Intransigeante futilité : Renaud Matignon

Il y a Huguenin, le plus beau, Hallier, le plus fou, Sollers, le plus vieux. Et Matignon. Qui donc ? Pour nous qui sommes trop jeunes pour l’avoir lu dans le Figaro, le fameux critique est à saisir, tout entier ou presque, dans le recueil d’articles que réédite Bartillat, La Liberté de blâmer : Quarante ans de critique littéraire, assorti d’une préface de Jacques Laurent et d’une belle introduction d’Étienne de Montety.


Renaud Matignon débute dans Arts, l’auberge des Hussards. Dans le premier numéro de la revue Tel quel – fondée avec ses camarades précités et quittée aussi sec –, il livre un article très fort et très froid, un peu copieux, sur Flaubert. Plus tard, il est éditeur au Mercure de France. En 1973, nouvelles salves dans le Figaro, promontoire d’où le critique au profil d’aigle – de corbeau ? – fera régner la terreur dans les lettres.


Matignon donne au lecteur ce qu’il attend : de beaux coups de chapeau, de forts coups de canne. Quelques cibles faciles, classiques baudruches qu’on crève en passant, pour se distraire : Jacques Attali (« L’Europe des lieux communs »), Guy Bedos (« Comique surgelé »), BHL (« Entre Marx et la Croix-Rouge ») ou Gérard Miller (« 7 ans de Miller »). Petits fours plaisants, vite avalés avant le champagne des éloges à Montaigne, Jules Renard, Valéry, Marcel Aymé, Jacques Perret, Guitry, Nimier. Le vitriol est prodigué avec assez de justice, un rien d’injustice aussi : c’est la règle de l’art. La prose de Matignon est sobre, un peu ronflante par endroits ; précise cependant, et tendue comme il faut. De-ci de-là, de l’allégresse, culminant dans quelques phrases parfaites sur Casanova, Laurent ou Blondin.


On a beau dire, et vouloir défendre, dans Renaud Matignon, la griffe étincelante, le brûleur de fausse monnaie, on sent, dans ce cœur, une veine grise et plombée ; dans cette tête, comme un entre-deux ou l’on vaque, sans joie ni douleur, à des rêves un peu tristes. Le peu de réalité revient comme un leitmotiv sous la plume de Matignon, qui n’en félicite pas moins Modiano d’être « concret ». On le préfèrera reprochant à Umberto Éco, avec des accents à la Chesterton, d’avoir oublié « qu’il y a des fées partout », ou même soupirant – étrange bravade, comme d’un dandy exsangue : « C’est une redoutable prison que soi-même, si l’on ne décide pas un jour de s’envoyer promener dans une intransigeante futilité. » 


Jean-Baptiste Fichet


La Liberté de blâmer – Quarante ans de critique littéraire de Renaud Matignon, éditions Bartillat, 628 pages, 18€. Préface de Jacques Laurent, Introduction d’Étienne de Montety.


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