Passage des Astragales de Henri Cueco

Atypique. Original. Combien de fois ces adjectifs ont-ils été utilisés par la critique contemporaine pour évoquer un roman ? Atypique. Original. Décalé. Déroutant. Voilà pourtant comment je qualifierais à mon tour Passage des Astragales de Henri Cueco, sous-titré Autofiction policière. Il n’est pas question pour moi ici d’en faire l’éloge. Moins encore de la publicité. Car ce roman n’est pas destiné à tout le monde. Je veux dire par là qu’il ne séduira pas nécessairement tous ses lecteurs. Ceux-ci devront accepter d’être trompés : ils croiront lire un roman loufoque et ils seront forcés de bifurquer vers une réflexion sur la philosophie de l’art... Quant au vrai coupable de ce récit policier, le connaît-on vraiment à la fin ? Pas si sûr.

 

Mais revenons quelques mois en arrière. Nous sommes dans une grande salle près du Panthéon, dans laquelle les écrivains accompagnés de leurs éditeurs viennent parler de leurs ouvrages devant les représentants des distributeurs, qui iront à leur tour soumettre ces livres aux libraires de France et de Navarre. C’est à cette occasion que je fais la connaissance de Henri Cueco, un peintre âgé de 83 ans, qui vient présenter un petit roman : Passage des Astragales. Il s’agit d’un vieil homme très attachant. Devant notre auditoire, cet être lunaire parle de son livre comme s’il venait de le découvrir et qu’il l’avait bien aimé. Aucune vanité chez lui, pas de fausse modestie non plus : il est très content de ce roman. Voilà, c’est dit. Après la réunion, assis à une terrasse de café, il me confesse que son médecin a du mal à comprendre le mal dont il souffre : il a le cœur lourd. Pas d’ennuis cardiaques, pas de dépression, non. Juste le cœur lourd, un symptôme existentiel qui échappe sans doute au domaine médical.


Ce n’est qu’en rentrant chez moi que je découvre sur Google image l’œuvre picturale de Cueco. Je regarde tout. Longuement. Puis je reçois les épreuves de son roman : Passage des Astragales. Le narrateur, c’est Cueco. Sa vieille voisine l’emmerde à cause du lierre qu’il doit couper. Elle le harcèle au téléphone. Il la déteste. Il rêve même de la tuer. Il la tue peut-être puisqu’elle disparaît soudain. Un commissaire mène l’enquête. Jusque là, le ton est léger, humoristique. Puis, peu à peu, le lecteur dépasse – malgré lui sans doute – l’enquête policière. L’intérêt du livre n’est plus là. L’assassin, le mobile, la victime, tout cela participe à une métaphore qui vise à résoudre une nouvelle énigme : celle que pose l’art.


La peinture serait cette expérience de l'inachèvement et de la non-résolution, lit-on sur Wikipedia à propos des tableaux de Cueco. Une phrase qui ne signifie pas grand chose pour moi, car trop abstraite. Bigrement stérile aussi. Mais le roman est là pour exprimer l’indicible. Et Cueco utilise l’autofiction pour s’interroger sur la signification de l’art. Et nous sommes très loin tout à coup de la petite intrigue policière que l’on découvrait au début d’un œil amusé. Le discours de l’écrivain, sous sa fausse légèreté, est terriblement profond. Ce sont l’artiste et le professeur Cueco qui parlent d’une seule voix. En tout cas, ce n’est plus vraiment le romancier. Est-ce bien un roman d’ailleurs ? Un court essai sur la peinture plutôt, déguisé en roman. C’est facile à lire… et en même temps difficile, car, au fil des pages, chaque réplique demande à être pensée, approfondie, ressentie. Chacune des réponses de l’auteur, durant son interrogatoire de police, nous renvoie à un travail personnel sur Titien, Van Gogh, Picasso… Il est question de la finalité de l’art. De sa nécessité, loin d’un travail purement décoratif. De la culpabilité ou de l’innocence de l’artiste face à son œuvre. Et enfin de l’aveu impossible du peintre, incapable d’expliquer ses toiles… ni son crime. Bref, atypique, original, décalé

 

Thierry Maugenest


Henri Cueco, Passage des Astragales, éditions Bayard, "JBK", janvier 2013

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