Symphonie criminelle en mi bémol de Claude Abromont : Vos yeux n’en croiront pas vos oreilles !

Si vous aimez Haydn, Mozart, Beethoven, Liszt et autres Chopin, précipitez-vous en librairie : Symphonie criminelle en mi bémol est un roman fait pour vous ! Maintenant, si vous n’écoutez jamais Radio classique ni France Musique, si vous n’aimez pas les concertos, les sonates, si vous baillez dès l’ouverture d’un opéra, eh bien, courez aussi chez votre libraire, car, avec ce livre, vous comprendrez et apprécierez enfin les chef-d’œuvres de la musique classique ! Son auteur vous en dévoilera les clefs, les codes secrets, la magie. Tenez, saviez-vous que le mi bémol était considéré par certains compositeurs comme la note des notes ? Wagner, par exemple, pour évoquer la naissance du monde au début de sa tétralogie, se saisit d’un simple mi bémol pour le faire croître, gagner en puissance jusqu’à exploser.

 

Mais avant de m’arrêter sur l’intelligence et la portée de ce livre, accordez-moi quelques lignes pour signaler que Symphonie criminelle en mi bémol est aussi une enquête policière menée tambour battant par un dandy solitaire. Meurtres, suspects à la chaîne, scène finale parodiant un Hercule Poirot, tout est là pour satisfaire les amateurs du genre, sans oublier une mystérieuse partition d’un compositeur du XVIIe siècle (conservée à la bibliothèque du Vatican) qui pose une énigme mathématique et musicale que nul n’a résolu à ce jour, et qui, tenez-vous bien… non, je préfère ne pas en dire plus pour revenir sur le fond, la matière même de ce livre singulier.

 

L’idée sur laquelle repose le roman avait été évoquée par Hermann Hesse dans une oeuvre magistrale : Le jeu des perles de Verres (1943). L’auteur recherchait alors le lien secrètement tissé entre les arts : un tableau de maître, par exemple, devait trouver son équivalence en musique, en poésie, en mathématique… Soixante-dix ans plus tard, Claude Abromont, pianiste et musicologue, reprend ce thème à son compte en proposant de donner à voir une œuvre musicale, afin de mieux appréhender sa richesse. Car le nœud de l’intrigue de cette symphonie romanesque tourne autour de cette question posée par l’un des protagonistes : comment aider un mélomane à ne pas décrocher lors d’un concert, comment lui indiquer les enchaînements d’idées du compositeur afin de saisir l’essence de l’œuvre ?

 

La solution se dessine au fil des pages : un appareil révolutionnaire propose une traduction visuelle de la musique. Mais cette innovation ne va pas se contenter d’éclairer, d’expliquer la musique, elle va devenir à son tour une œuvre d’art… picturale cette fois.

 

En s’emparant du thème du mariage et de l’interfécondation des arts, Symphonie criminelle en mi bémol propose à ses lecteurs un sujet d’une richesse inouïe. Car il offre à qui veut s’en saisir une dimension nouvelle, il entrouvre une fenêtre vers ce monde rêvé par Rimbaud ou Baudelaire où les parfums, les couleurs et les sons se répondent. Et l’audace de l’auteur consiste ici à nous proposer des pistes de réflexions artistiques à travers le prisme d’une enquête policière. Soit la quête dans l’enquête ; un procédé réservé aux créateurs qui maîtrisent l’art du faussement léger, comme Haydn dans son final de la symphonie 98, que vous écouterez à coup sûr dès le livre refermé pour en saisir le mystère…


Thierry Maugenest 


Claude Abromont, Symphonie criminelle en mi bémol, Editions Bayard, mai 2013, 347 pages, 18 euros.


2 commentaires

Je partage pleinement l'avis de ce journaliste. Le livre est passionnant, la plume alerte, nerveuse, l'imagination débordante. Musicienne, pédagogue et amateur de polars, je suis comblée et attends la suite impatiemment. Vite, le volume 2.

Merci. Le volume 2, qui ne se situera plus dans le monde de la musique contemporaine mais dans celui des neurosciences, est déjà en chantier. Patience...