Interview Jean-Michel Ferragatti (auteur) et Frédéric Stokman (éditeur) : L'HISTOIRE DES SUPER-HÉROS

Merci à tous les deux d'avoir accepté de répondre à ces questions alors que vous devez être bien occupé par votre projet. Avant de commencer, pour que nos lecteurs vous connaissent un peu mieux, pourriez-vous nous présenter votre parcours scolaire et professionnel avant d'en arriver aux comic books ?


Frédéric Stokman : Bonjour à toutes et à tous et merci pour ces questions ! C'est avec un grand plaisir que j'attaque la … première réponse ! (rire)

Je m'occupe de Neofelis Editions depuis cinq ans et suis passionné de comics depuis la fin des années 70 . J'ai fait des études de graphisme, de maquettisme et suis également dessinateur (quand je trouve du temps  libre) ! Un parcours scolaire sans grands coups d'éclats (CAP, Bac Pro) mais surtout une passion pour l'univers des « super-héros » depuis ma tendre enfance. Je me suis lancé dans l'édition après la perte de mon boulot en tant que dessinateur de comic strips pour des journaux. Une envie tenace et le bon moment de s'y coller !


Jean-Michel Ferragatti : Houlà, est-ce vraiment nécessaire ? En effet, mon activité d’historien des publications de super-héros américains en France est une activité que je réalise en plus de mon métier.

En résumé, j’ai fait un DUT de techniques de commercialisation puis une maîtrise de science de gestion avant de faire un DESS de fiscalité de l’entreprise et un DEA de finances publiques-Fiscalité.

Je suis actuellement le jour directeur fiscal en charge de la France pour un groupe industriel allemand et le reste du temps auteur d’ouvrage sur les super-héros.



Quels ont été vos premières histoires de super-héros ? Et plus généralement, quels sont vos personnages, séries et auteurs préférés ?


FS : Je dirais que mes premiers souvenirs d'histoires de super-héros sont, comme beaucoup de lecteurs de mon âge (42 ans), imputables aux productions Lug, Arédit ou Artima avec des aller-retours très fréquents chez les marchands de journaux de mon quartier pour découvrir ces trésors en petit et grand format. Difficile de me souvenir de la première lecture du genre mais le Strange 125 (mai 1980) fût une pierre angulaire pour le début des hostilités ! Bob Brown sur Daredevil, John Romita Jr sur Iron Man et Ross Andru sur Spider-Man, waouh quel choc !!! Les albums Docteur Octopus et Le Micro-Monde de Fatalis (début 80) furent de sacrées claques également, j'y découvrais les dessins fantastiques de Steve Ditko et Jack Kirby !

Dans mon Panthéon Potentiel de Popularité je citerais les frères Buscema, Gene Colan , Jack Kirby, Bob Layton, Steve Ditko, Ron Frenz et en fait… bien d'autres ! Le (long) run de Sal Buscema sur Rom The Spaceknight (Rom Le Chevalier de l'espace) reste une de mes périodes préférées !


JMF : Ma première exposition aux comics remonte à mes 8 ans. Je venais de déménager et je ne connaissais aucun enfant. Une de mes petites voisines lisait une bande-dessinée sur le pas de la porte de notre immeuble. Je lui ai demandé ce que c’était et elle m’a montré un Strange.

Elle les piochait dans la collection de ses grands frères. Elle m’a prêté le Strange n° 11. Une grand claque. J’ai réussi à convaincre ma mère de m’acheter le magazine au marchand de journaux et il s’agissait du numéro 97.

Après, le virus ne m’a jamais lâché (même s’il y eu des périodes de répit).

Assez paradoxalement, j’aime beaucoup les séries DC qui se trouvaient moins facilement dans mon petit village. J’aime beaucoup les histoires de Superman des années soixante dix.

Mes personnages préférés sont Space Ghost, Etrigan le Démon et J’onn J’onzz The Martian Manhunter.

Pour les séries et les auteurs, il y en a tellement que je ne préfère rien dire plutôt que d’en oublier.



Quel regard portez-vous sur les récentes adaptations cinématographiques Marvel ou DC ? Est-ce que ces films vous plaisent ? Que pensez-vous de leurs succès ?


FS : Il y aurait beaucoup à dire sur les adaptations de comics mais, pour moi, c'est vraiment aléatoire, on oscille entre du bon et du vraiment moyen, pour être poli. Mes préférés (niveau réalisation et conformité au matériel original) sont Watchmen, Captain America, Sin City, Punisher War Zone, X-Men - Le Commencement et quelques autres. Je suis plus dubitatif concernant des films comme Amazing Spider-Man, Thor, Les Quatre Fantastiques, Les Gardiens de la Galaxie, etc… Je pense que les studios ne se soucient pas plus que ça des « anciens lecteurs » et produisent en masse pour divertir et faire du merchandising. Le public reste assez jeune et novice en la matière. Maintenant je les regarde avec plus ou moins d'intérêt en me disant que c'est simplement un divertissement (même si je bouillonne parfois !). Très bonne surprise dernièrement avec la série Daredevil, qui me redonne foi en cet univers que j'affectionne tant !


JMF : Cela dépend en effet vraiment des périodes. Récemment, je trouve bénéfique pour la qualité des productions que les films s’appuient vraiment sur des segments de comics existant et pas sur des scénarios inédits.

Sur la qualité de la réalisation, le résultat est extraordinaire. Par contre, les non initiés manquent plein de références très subtilement glissées dans les films.

Habituellement, je vais voir les films avec des amis et pendant le dîner qui suit je leur décrypte les films. La démarche est vraiment super intéressante.

D’ailleurs, j’ai un projet grand public avec un ami sur cette thématique (mais chut, c’est secret !).



En quoi consiste les Éditions Neofelis ? Comment et pourquoi t'es venu l'idée de ce projet ? Se lève-t-on un beau matin en se disant « je vais éditer du comic book »?


FS : Le but des éditions Neofelis consiste à proposer des titres du patrimoine US, inédits ou non, et des ouvrages de référence sur l'histoire des comics ou de leurs auteurs (comme la biographie de Jack Kirby par Jean Depelley, avec plus de 800 pages !) . Très égoïstement, je ne veux publier que des artistes que j'apprécie. Je l'avoue, je suis resté bloqué aux années 60, 70 (et un peu 80…) ! Je me suis dit un jour « je vais éditer du comic book ! », donc oui pour répondre à ta question. Un rêve de gosse !



Votre précédent ouvrage, Fighting American (par Joe Simon et Jack Kirby), a (me semble-t-il) trouvé son public : comment expliquez-vous cet engouement pour d'anciens comic books alors qu'il y en a tellement sur le marché chaque mois ? Pensez-vous qu'il s'agisse d'une nouvelle mode ?


FS : Oui, le Fighting American fonctionne bien, c'est un petit tirage de 500 exemplaires, il en reste moins de 80 à ce jour. Peut-être que les lecteurs veulent simplement découvrir l'origine de toutes ces productions et lire, en plus des classiques Marvel et DC, d'autres personnages méconnus ou… inconnu pour celui-là !

Les publications Neofelis sont tirées entre 500 et 1 000 exemplaires, des éditions dites  collector qui permettent de mettre en place une collection sans trop de pertes. Je refuse d'ailleurs de laisser partir mes ouvrages au pilon (destruction des invendus), ils se vendent petit à petit. Il n'y a aucun impératif de « réussite éclair » , j'aime laisser le temps aux livres de trouver leur public.



Comment est née l'idée d'un livre sur L'histoire des super-héros ? Racontez-nous un peu la genèse de votre projet.


JMF : Houlà, très longue histoire. En résumé, j’ai découvert grâce à un ami bouquiniste (Claude Eloy, créateur de la défunte librairie Dans la Gueule du Loup) qu’il existait tout un pan de l’histoire des super-héros en France qui n’avait quasiment jamais été étudiée.

J’ai commencé par collectionner les publications puis à en parler sur le forum Pimpf (le portail des petits formats). J'ai pris, par la suite, un peu de distance avec les forums BD pour concrétiser le projet. J’ai continué à étudier les publications et j’ai édité un fanzine en m’inspirant de Golden Color (un fanzine préexistant et dont la publication avait cessé).

L’un des mes lecteurs était Xavier Fournier du magazine Comic Box. Il m’a rapidement proposé de tenir une chronique sur le site internet du magazine. C’est comme cela qu’est né French Collection. Dès le début, de nombreux lecteurs ont posé la question d’une version papier. Petit à petit le projet a fait son chemin et j’ai rédigé une première version. J’ai été le présenter à quelques éditeurs sans succès.

Puis, il y a quelques années, Neofelis a publié un livre sur Jack Kirby. J’ai félicité Frédéric pour son travail et je lui ai montré mon manuscrit. Il a alors proposer de l’éditer.



Pourquoi ce choix de la campagne participative (Ulule en l’occurrence) ? Qu'est-ce qui vous a motivé à choisir ce chemin éditorial plutôt qu'un chemin plus classique ? Quels sont, selon vous, les avantages et inconvénients de ce système participatif ?


FS : J'avais déjà proposé Fighting American sur Ulule en 2013. C'était l'occasion de tester un peu le « marché de niche des comics hors grosses machines » et de présenter un titre avant sa réalisation, de voir si des potentiels lecteurs pouvaient être intéressés par cette idée de précommande avec des goodies (ex-libris et reproductions de planches originales sous forme de cahiers indépendants).

J'y vois surtout le côté «petit plus » de la chose avec le nom des contributeurs figurant dans les remerciements ou, comme je le disais, des contreparties exclusives. Encore une fois ce que j'aimerais trouver en tant que fan. L'avantage est de mobiliser les gens directement de chez eux mais l'inconvénient c'est que les lecteurs attendent toujours plus. Il est même question d'un ice bucket challenge devant une librairie parisienne mais je n'en sais pas beaucoup plus, il faut demander à Jean-Michel (rires).


JMF : Beaucoup d’amis m’ont dit qu’ils aimeraient bien acheter le livre mais qu’ils ne savaient pas où le trouver. La campagne Ulule permet de diffuser l’information facilement.

Après, en effet, il y a un effet d’entraînement avec les fans qui conduit entre autre à un défi Ice Bucket que je vais relever.



Il n'y a plus de suspens : à l'heure où j'écris ces questions, votre campagne est déjà un succès avec 150% de l'objectif atteint. Votre livre sera donc publié, alors pourquoi continuer à le financer ?


FS : Tout simplement car la campagne Ulule doit se terminer au bout des 45 jours programmés. Nous étions déjà à 100% en huit jours, je tiens d'ailleurs à remercier les souscripteurs qui supportent ce projet depuis le début ! Il y a également le fait de proposer de nouvelles contreparties à chaque palier franchi (80% et 130%, déjà) et que certains souscripteurs attendent les derniers jours de la campagne pour y participer. Vous trouverez d'ailleurs tous les détails sur la page Ulule : https://fr.ulule.com/histoire-superheros2/



Votre livre va, j'imagine, regorger d'anecdotes. J'ai pu lire, par exemple, que vous en évoquez les noms d'auteurs américains francisés pour l'édition dans l'Hexagone ? Pourquoi cette pratique ?


JMF : Il faut savoir qu’à l’époque très peu de gens parlaient une langue étrangère en France et notamment l’anglais qui n’était pas une langue d’immigration (contrairement à l’italien ou le polonais). Il y avait donc une incompréhension des patronymes étrangers. La francisation permettait d’éviter ce problème. Il s’agissait d’une politique qui allait bien au-delà de la bande-dessinée. Quand mon grand-père italien s’est fait naturaliser, son prénom a été changé de Lorenzo à Laurent !

De plus, l’opinion publique avait une très mauvaise opinion des bandes-dessinées , notamment américaines, réputée violentes et pornographiques (dans le sens de l’époque). Franciser les noms des noms d’auteurs, mais également des personnages, permettait d’éviter d’être la cible des critiques.



Avez-vous d'autres exemples d'anecdotes intéressantes à raconter (sans trop déflorer le sujet évidemment) ?


JMF : Énormément. Par exemple, pourquoi Superman a été traduit par Yordi en France et qui est même devenu François l’imbattable ! Il y a aussi plein d’explication sur les différentes censures de l’époque et sur l’histoire des maisons d’éditions américaines et françaises.



Comment se sont déroulées vos recherches ? Comment avez-vous fait pour retrouver les éditeurs de cette période ?


JMF : Les recherches se sont étalées sur la dernière quinzaine d’années. Premièrement en collectionnant les versions françaises, puis en trouvant les correspondances américaines grâce à un ami québécois qui m’a fourni les versions scannées de la plupart des comics américains.

Tout ce travail a été recoupé par la lecture assidue et approfondie de la littérature américaine sur le sujet et notamment le magazine Alter Ego de mon ami Roy Thomas.



Quelles sont, selon vous, les grandes étapes de l'édition de comics de super-héros en France ? Y a-t-il des moments-clés ? On connaît tous la formidable période des éditions Lug (souvenirs, souvenirs), par exemple, mais on imagine mal ce qui a précédé cette époque…


JMF : L’enjeu du livre est justement de démontrer qu’il existe une période antérieure à Lug extrêmement riche. Pour résumer, les moments clefs sont les suivants.

En 1939, Superman est traduit en France. Devant le succès, d’autres éditeurs se lancent sur le créneau et importent d’autres super-héros jusqu’en 1940.

En 1940, la France est envahie par les armées nazies. Les États-Unis entrent en guerre et les éditeurs français cessent leur relation avec leurs correspondants américains. Quelques artistes français essayent de produire des épisodes de super-héros en France.

Après la guerre, les publications françaises reviennent en force. C’est de nouveau un formidable succès. Les auteurs et éditeurs français s’en inquiètent. Ils font voter la loi de censure de juillet 1949. Les publications de super-héros (notamment) sont quasiment interdites. Petit à petit, les personnages reviennent subrepticement dans les petits formats de l’éditeur Artima, avec des séries peu typées super-héros, et ce jusqu’en 1961.



Je lis sur la couverture la mention « L'âge d'or 1939-1961 » : faut-il comprendre qu'un second tome est déjà prévu ?


FS : Nous verrons bien l'année prochaine, mais il y aura entre temps un autre projet édité (voir deux, croisons les doigts!)


JMF : Le livre actuel couvre, en résumé, la plage temporelle correspondant aux chroniques de French Collection publiées sur le site de Comic Box jusqu’au numéro 81.

En sachant que nous avons dépassé les 250 chroniques, il y a en effet de quoi faire. Mais toutes ne se prêtent pas à une version papier. Néanmoins, un deuxième tome est en effet déjà quasiment écrit. Mais le succès du premier sera-t-il suffisant pour que le projet éclose ?



Où en êtes-vous dans l'avancement de votre projet ? Quand « L'Histoire des super-héros » sera-t-il disponible ?


FS : Nous sommes en pleine phase de relecture et de mise en page. Il sera disponible pour la fin d'année, avec ses contreparties pour les souscripteurs Ulule et surle site Neofelis Editions puis à la suite dans certaines libraires.

Merci pour ton intérêt et longue vie au Salon Littéraire. À très bientôt !


JMF : Merci beaucoup à toi, et encore félicitations pour ta chronique.

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