Philippe Saada, Sébastien Vassant, "Juger Pétain" : La figure tragique du maréchal
L’enjeu véritable de ce procès est brillamment exposé par Albert Camus, présent à quelques audiences – entre les répétitions de Caligula – : Il s’agit d’établir si Pétain a servi l’Allemagne, si sa politique a renforcé les chances de la guerre hitlérienne, s’il est responsable des déportations, tortures et fusillades, s’il a été enfin, qu’il l’ait voulu ou non, le serviteur de l’ennemi et l’agent de ses infamies. Le procès revient sur le sens de la capitulation et l’entrevue de Montoire – Pétain se déplace de son plein gré pour serrer la main d’Hitler le 29 octobre 1940. A-t-il, en entrant dans la voie de la collaboration avec l’ennemi, trahi son pays ? C’est lui seul que l’Histoire juge. Pétain s’est enferré au cours de la guerre. Jouant d’abord un double-jeu – lui le bouclier sauveur de la République, de Gaulle son épée – il a ensuite, en rappelant Laval en septembre 1942, approuvé silencieusement la chasse des résistants et la déportation des juifs de France vers les camps de la mort. Le réquisitoire, après les plaidoiries, évoque l’humiliation de la France voulue par le régime d’Hitler et ce gouvernement qui l’a pleinement assumé. On a failli faire perdre l’honneur à la France, sa raison de vivre, en lui enlevant son honneur. Cela messieurs, c’est le crime inexpiable auquel il n’est ni atténuation, ni excuse… La Cour condamne Pétain à la peine de mort, à l’indignité nationale, à la confiscation de ses biens. En vertu de son grand âge, la condamnation est commuée en détention perpétuelle par le général de Gaulle lui-même.
François Mauriac, présent lors de la délibération aura ces mots : Le dialogue de l’accusation et de la défense va se poursuivre de siècle en siècle ; pour tous, quoiqu’il advienne, pour ses admirateurs, pour ses adversaires, il restera une figure tragique éternellement errante… A mi-chemin entre la trahison et le sacrifice.
Cette bande dessinée au trait vif, en noir et blanc sur fond gris comme l’époque qu’elle met en scène est dynamique, jamais ennuyeuse. Des éclairages constants, des intermèdes historiques sont apportés au lecteur. Ce compte rendu d’aujourd’hui d’un procès d’hier – comme si vous y étiez ! – rafraîchira la mémoire des oublieux. Salutaire, cette radiographie de l’inconscient collectif rappelle les errements d’une certaine France au visage tragique, France qui n’a pas encore fini de traquer les fantômes de son passé. Une œuvre d’utilité publique !
Frédéric Chef
Philippe Saada, Sébastien Vassant, Juger Pétain, Glénat, septembre 2015, 136 pages, 19,50 €
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