Il est des choses qu’on se doit de ne pas manquer. Les fêtes
de fin d’année, Noël, les vœux, les machins sont sur la liste. Et pourtant pas
vraiment obligatoires. Ça pourrait même être facilement gonflant. Mais ça peut servir
aussi, si c’est prétexte à offrir, faire des cadeaux autour de soi. Parce que
c’est bien de faire des cadeaux. Et parmi les cadeaux, à ne pas manquer de
faire, de se faire, il y a ÇA : Mickey Mouse, Café "Zombo", (Glénat) and La Lumière de Bornéo, le Spirou de Frank Pé et Zidrou (Dupuis).
Spirou (et Fantasio) est (sont) sans nul doute un des
personnages de BD les plus pris et repris par une cohorte de dessinateurs et de
scénaristes, du meilleur au plus mauvais, c’est le lot. De Rob-Vel, assisté par
deux autres personnes, en 1938, à la suite, jusqu’à Jijé qui le co-équipera de Fantasio.
1947, grande date : Spirou et Fantasio tombent dans les mains de Franquin.
Le plus grand dessinateur au monde. À la suite de qui, le personnage sera pris
en charge par d’autres dessinateurs (et scénaristes). Fournier, Nic, Tome et
Janry, Yves Chaland, le duo Morvan et Munuera, Yoann et Vehlmann. À la suite de
quoi, plusieurs autres dessinateurs se sont suivis pour narrer les aventures du
personnage, parfois lamentablement, parfois admirablement (Émile Bravo et Le journal d’un ingénu, le Groom vert-de-gris, par Yann et
Schwartz, magistral). Puis de nouveau Yann et Schwartz, avec le superbe La Femme Léopard, puis Le Maître des Hosties Noires. Spirou est
de retour. Et voici à présent le tout simplement magnifique album de Frank Pé
et Zidrou : La Lumière de Bornéo.
Les héros on pris de l’âge, un peu, Fantasio n’a plus que deux cheveux hirsutes
au lieu de quatre, Spirou porte des lunettes de vue (demi-lune). Nous
retrouvons le Noé formidablement traité, dans le cirque qui l’emploie, avec ses
animaux savants : le Noé gentil et timide du chef-d’œuvre absolu Bravo les Brothers, revenu sur scène un
peu teigneux, et pour cause… Nous rencontrerons, comme lui, sa fille Fauvette
née d’une union improbable, perdue et retrouvée : un phénomène.
Parfaitement à sa place dans cette phénoménale aventure, bourrée de poésie, la
belle poésie, naturelle, sans majuscule, celle qui ne fait pas chier le peuple,
la discrète, l’alimentaire au bon sens du mot. On ne demande qu’une chose,
enfin je ne demande, c’est que Frank Pé et Zidrou poursuivent dans
l’enchantement les aventures de ces gaillards-là. Pour notre plus grand bonheur
à tous.
Quant au Mickey-Mouse de Loisel, autrement dit Café "Zombo"… Un jour,
l’éditeur Jacques Glénat propose à Régis Loisel de « faire son album Mickey ».
Il sait bien que Loisel est fan de la souris en culotte rouge à boutons dorés.
Pas n’importe quel Mickey, hein ? Celui des années trente. Le pur, le dur.
Le vrai. Et son univers avec, cette « ambiance de maisons en bois et de
vieilles palissades », dira Loisel. À juste raison. Années 30 US, donc. Les
expropriations, le chômage, En un combat
douteux, À l’Est d’Eden, Le Petit arpent du Bon Dieu, Des Souris et des Hommes…
Cette ambiance. Et Loisel de nous concocter une histoire de combat
« douteux » social dans la ligne de Steinbeck, tiens, et pourquoi
pas ? Mickey qui cherche du boulot, n’en trouve pas, part en vacances pour
oublier la déveine, en compagnie of course de Minnie, de Horace Horsecollar son
pote, de Clarabelle la copine du précédent, à la campagne chez Donald Duck qui
possède un bateau, histoire de se baigner, de se dorer la pilule au soleil,
d’aller à la pêche et de faire, donc du bateau. .. C’est le bon temps. Mais au
retour, changement de décor. On démolit le quartier, on expulse à tour de bras,
on rachète à vil prix les terrains et les maisons pour construire tenez-vous
bien un terrain de golf à usage des riches puissants. Au grand préjudice bien
entendu des petits et des faibles. On ne se contente pas de cela, le système
est rôdé : on exploite les exploités sous deux formes : en les
volant, en les obligeant à travailler pour les nantis exploiteurs. Et ceci en
les transformant en accros drogués hallucinés zombifiés au Café Zombo, qui
« donne de l’énergie dés le matin », et plus tard aux hamburgers
spéciaux dont l’odeur enivrante fait vriller les synapses. Tout ceci, ce
procédé, cette arnaque, manipulée et ordonnée par une brochette de méchant plus
méchants que nature, forcément, parmi lesquels nous retrouverons en séides
obligatoires l’incontournable Pat Hibulaire, le ricaneur Chicaneau, et dans le
rôle du banquier véreux coordinateur du grand bazar cette grosse vache (qui
n’en est pas une) de Rock Füller… N’oublions pas les cuisiniers Max et
Ronald.ni non plus, coté gentils, ce bon Dingo et le chien Pluto.
C’est un festival. Un album de grande classe, de 75 pages,
format magique à l’italienne, couleurs d’époque, en strips. Un bijou,
réellement. Et le trait, le dessin de Loisel (en plus de son scénario) tombé
tout droit de ce temps-là et comme on le dirait du crayon de Gottfredson le
créateur, mais quasiment en mieux, parce que décor plus fouillé, mouvement plus
vivant et énergique… C’est à la fois « comme si » et
« autrement plus mieux », comme si l’élève par la force des
choses s’était mué en maître. On sent, dans ce dessin, cette histoire, à un
point rare tout le plaisir, le bonheur pris par son auteur à la dessiner. Et ce
plaisir, ce bonheur, transmis via la vision par une espèce de capillarité de
lecture au lecteur spectateur que nous sommes. Que je suis, en tout cas. C’est
un album à lire et relire, à posséder en quinze exemplaires, pour ne pas l’user
trop vite. De la joie, quoi.
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