Béatrice Joyeux-Prunel retrace les grands mouvements des avant-gardes artistiques (1918-1945)

Il n’y a pas que les enfants Malaussène qui criaient la suite ! la suite !, car depuis janvier 2016 et la parution du premier tome des aventures transnationales des avant-gardistes, nous étions dans l’attente… La délivrance est intervenue dans les premiers jours de mai.

Osant le postulat d’une approche sociologique, Béatrice Joyeux-Prunel s’attaque à une période des plus périlleuse car l’historienne qui s’aventure sur le terrain des avant-gardes pour la période 1918-1945 via ce prisme-là prend le risque de se faire taxer d’insensibilité politique et esthétique. Alors que c’est tout le contraire ici ! Béatrice Joyeux-Prunel ose un regard global et met en lumière d’autres vérités injustement oubliées et sacrifiées sur l’autel du marché… Il va falloir casser le mythe, mais premier problème : par où commencer ? Il semble que la rupture la plus forte soit due à la suite de la Révolution de février 1917, en Russie, du passage de Dada de Zurich à New York et de la fondation du néo-plasticisme hollandais. Or, l’histoire n’est pas un roman, et Béatrice Joyeux-Prunel va nous démontrer en près de mille pages que l’historien ne peut oublier les mouvements nés au Mexique, au Brésil, en Asie…
Ces avant-gardes des périphéries sont d’autant plus passionnant à découvrir qu’ils viennent à contre-courant de la domination de Paris sur la carte et le marché mondiaux ; sans parler de leurs propositions alternatives aux modèles culturels et progressistes développés avant 1914 dans les métropoles européennes.
Elle réussit fort bien à mondialiser la perspective générale de cette histoire en connectant les différents courants qui ne sont pas si cloisonnés que ça ; et ainsi restitue-t-elle la dynamique de cette mondialisation des arts.

Avant-garde, soit, mais quel avant-garde ? Celui de l’innovation des formes ? Du contenu ? De l’engagement social ou politique ? De la construction ? De la décoration ? Du design et de la mode ? Etc. Pour architecturer son enquête, Béatrice Joyeux-Prunel pose ses jalons selon un suivi géopolitique, puisque l’ambition de tous était de vouloir « être de la grande génération d’après la guerre ».
Mais il s’avère très vite que le tissu se délite : anciennes et nouvelles avant-gardes tentaient de trouver dans le passé un ancrage plus fort que la courte tradition de l’avant-garde du début du siècle. Tout ne semble donc pas débuter qu’avec Dada : les vingt années d’entre-deux-guerres virent les groupes se multiplier (dadaïsmes, abstraction, constructivisme, Valori, Plastici, Nouvelle Objectivité allemeande, surréalisme, restes de futurisme, Retour à l’ordre…). Sans parler de ce qui saute aux yeux dès que l’on étudie trois, quatre générations d’avant-garde et que l’on constate une réelle préoccupation des artistes progressistes pour leur propre histoire, bien plus que pour la confrontation avec les pratiques culturelles dominantes de leur époque. Auquel s’ajoute le problème bien concret de s’assurer à la fois une assise sociale et une place sur le marché… Ce fameux marché international de l’art que ce livre propose d’étudier à la loupe en ouvrant de nouvelles pistes pour intégrer l’étude des échanges marchands dans l’histoire mondiale des avant-gardes. Pistes étudiées dans leur globalité, et c’est là que toute l’histoire prend du sens !
Béatrice Joyeux-Prunel nous permet de comprendre comment des logiques considérées comme incompatibles – et que le récit hagiographique des avant-gardes a voulu gommer – étaient en fait complémentaires, voire indissociables pour que le modèle avant-gardiste, dans toutes ses dimensions (de la rhétorique au marché) puisse se perpétuer et survivre jusqu’à nos jours…

On saisit alors que l’intégrité culturelle, stylistique, politique aussi bien que morale de l’avant-garde est un mythe. Et une prise d’otage intellectuelle en consacrant le seul surréalisme
Ce volume remet donc en question l’idée d’une centralité parisienne dans l’entre-deux-guerres et refuse d’accepter la seule interprétation monocentrique de la géopolitique mondiale de l’art après 1945. Béatrice Joyeux-Prunel ouvre la boîte de Pandore pour en libérer toutes les vérités, que la doxa s’éteigne et que les scènes artistiques aux géographies et aux échelles très diverses les unes des autres parviennent à se connecter pour former – enfin ! – la véritable Histoire de l’art…

Et toujours doté d’appendices conséquents (+200 pages) qui permettent d’aller quérir l’information précise, ce second tome inédit (et en format poche qui l’ouvre à d’autant plus de lecteurs potentiels) se lit tout aussi aisément que le premier (fait rare dans le milieu universitaire), un très beau voyage dans l’authentique monde de l’art (et donc pas seulement entre Paris & New York) avec ces fameux « fous » de l’avant-garde…

François Xavier

Béatrice Joyeux-Prunel, Les avant-gardes artistiques (1918-1945) – Une histoire transnationale, cahier central de 15 illustrations couleurs, Folio histoire n°263, Gallimard, mai 2017,  1200 p. – 14,90 €

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