"Gallimard, 1911-2011. Un siècle d’édition" : cent ans de bonheur

Cela débute par une série de portraits. Photographies tramées dans un papier rouge pour souligner d’emblée qu’il sera ici question d’héritage, d’une histoire de famille ; questions d’esprit aussi, de pensée, de valeurs... Et comme le précisait Gaston Gallimard à sa femme (lettre du 17 janvier 1916), l’amour des catalogues a ceci de décalé et d’intemporel qu’ils sont souvent aussi beau qu’un indicateur de chemin de fer car l’on y voyage tout en prenant une vue assez juste de l’humanité, de ce qu’elle pense... Un siècle d’édition donc, un siècle d’amour de livres et de leurs auteurs... Un siècle de lutte, de renoncements, de résistance, de ruses et de combats, notamment pendant la Seconde guerre mondiale ; et après. Combats réels puis combats idéologiques, ouverture d’esprit dont les limites sont sans cesse repoussées ; quitte parfois à s’égarer... 


Mais diable que le chemin fut long pour en arriver là où, aujourd’hui, les éditions Gallimard peuvent fièrement se targuer d’être. Totalement indépendantes, ce qui n’a pas de prix quand on sait ce que sont devenues Albin Michel, Grasset, Le Seuil, Robert Laffont et autres enseignes dévorées toutes crues par les appétits féroces des Lagardère, La Martinière et autres barons fumeux de la finance internationale qui ont littéralement détruit l’esprit des maisons qu’ils ont acquis. Gallimard a eu l’intelligence de s’adapter en s’extirpant des griffes des commerciaux : a lui sa propre structure de diffusion et de distribution. A cela quelques achats opportuns (la Pléiade en son temps puis Denoël, et plus récemment, P.O.L et Verticales, notamment) et une politique éclectique dans la droite ligne du fondateur qui n’avait pas hésité à lancer le journal Détective pour avoir une pompe à liquidités qu’il injectait à perte dans l’édition pour se faire un catalogue... 
Une histoire d’argent, forcément, car l’on ne peut rien faire à partir de rien, mais de l’argent habillement gagné et surtout intelligemment investi, ce qui n’est pas donné à tout le monde, notamment dans ce milieu où les egos ont tendance à très fortement enfler en proportion du chiffre d’affaires qui est, rappelons-le, à ne pas confondre avec le bénéfice...


Et ce catalogue-là, qui émane de l’exposition éponyme qui se tient jusqu’au 3 juillet 2011 dans la galerie François 1er de la BnF, est un petit bijou à consulter avec gourmandise et lenteur... On y découvrira, passé l’extraordinaire histoire de la dynastie Gallimard, des pièces rares allant des projets et des couvertures d’antan, de Proust au Petit Prince, des livres de comptes aux premières publicités, de splendides lettres d’écrivains (de la belle écriture ronde de Raymond Queneau au brouillon de Ionesco sans oublier une certaine missive dactylographiée datant de 1962 envoyée par un JMG Le Clézio encore inconnu mais qui allait frapper un grand coup en vendant plus de 100 000 exemplaires de son premier roman, Le Procès-verbal). Avec, rarement dévoilées, les fameuses fiches de lecture. Car si Gallimard est devenu ce qu’elle est, c’est aussi, en s’octroyant un rôle parfois ingrat, souvent décrié, defiltre entre le bon grain et l’ivraie, au grand dame de ses détracteurs. Point de vue titrait d’ailleurs, le 25 février 1948 : A "l’usine à pensée" de la N.R.F., un tribunal suprême de la littérature fait chaque année le procès de 3000 auteurs. Il est vrai que donner les clés aux auteurs eux-mêmes n’est pas forcément la meilleure des solutions (certaines lettres ici rapportées font d’ailleurs état de hyènes ou autres coucous comme jolies noms d’oiseaux à l’égard de certains membres).


On ne manquera pas également de souligner à ce propos l’absence totale de clairvoyance d’André Malraux qui se permet de refuser (sans aucun argumentaire) le manuscrit Pylone de William Faulkner, ayant, de surcroit, l’outrecuidance de prolonger son avis sur tous les futurs romans proposés par l’écrivain américain. Malraux qui, une fois encore, passe à côté de son sujet... Fort heureusement, il ne sera pas suivi. Et d’autres auteurs, comme Raymond Queneau oseront aller de l’avant, par exemple avec Le festin nu
Des maquettes de couvertures, des notes à propos de projets de collections, encore des lettres (Genet, Miller...) viendront ponctuer cet inventaire à la Prévert qui font de la saga Gallimard le meilleur... polar littéraire de l’année !


François Xavier


Alban Cerisier & Pascal Fouché (sous la direction de)
Gallimard, 1911-2011. Un siècle d’édition, préface d’Antoine Gallimard & Bruno Racine, 500 illustrations, 250 x 250, Gallimard/BnF, avril 2011, 408 p. - 49,00 €
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