Le cul bénit
Haut les culs, hauts les cœurs, Le cul
bénit c’est une quête du Graal, le
sexe principe d’amour, fût-il divin.
Les belles
épousailles que voilà en terre bretonne ! Le
titre Cul bénit, oxymore qui acoquine la
chose dont il ne faudrait pas parler et la morale qu’il faudrait suivre, comme
le dit joliment l’auteur, sied
à merveille à ce beau livre qui réconcilie
les bas morceaux du corps avec le très haut esprit saint en nous invitant à changer notre regard sur les représentations canailles qui ornent
les édifices religieux de la région.
Bernard Rio refuse de décrypter les scènes érotiques avec
une vision religieuse ou moraliste, ou même
exhibitionniste, non, ces sexes érigés
et ces culs ouverts ne sont pas là pour effaroucher les bonnes âmes et
les dévots ou ravir les voyeurs. Le sexe et ses plaisirs sont aussi un chemin
qui mène à Dieu et il faut pour aller
chercher au-delà du christianisme, lever
le voile pudibond.
L’auteur ôte donc les œillères de la bienséance et cherche une connexion pour comprendre le sens de cette
débauche de sexes et de chair tentatrice,
il ne se focalise pas sur ce qui fascine l’œil, il embrasse l’ensemble
des scènes, il interroge les lieux, les paysages, l’architecture, la
mythologie, les fêtes calendaires, l’étymologie, bref il lui faut retrouver toutes les pièces du
puzzle pour débusquer le sens de cette imagerie
érotique et pornographique qui envahit
porches et calvaires de la Bretagne.
Ce spécialiste de l’environnement et du patrimoine s’est
livré à un travail historique de fourmi.
Il dit en préambule avoir épuisé les traités d’art sacré et les
ouvrages érotiques sans trouver réponse. Alors il a franchi les frontières et c’est un ouvrage d’ Alain Daniélou sur les temples hindous qui lui a donné une
clef : ces lieux de culte sont des
endroits choisis pour des raisons précises, des lieux magnétiques, magiques,
de véritables centres de communication entre deux mondes qui se
méconnaissent et qu’il faut réunir, le visible et l’invisible.
B.Rio transpose cette
vision des choses aux sanctuaires bretons et ne voit plus dans une vulve
exhibée une provocation ou un objet de péché.
Ainsi, dit notre auteur, La
voie de Dieu peut aussi emprunter le chemin des Dames…
Nous voici donc
embarqués pour plusieurs
millénaires d'amour et de désir après
que notre guide nous a présenté la
grande Déesse et ses signes symboliques, vulve ouverte, sein, fesses, lune, soleil et la fertilité, et le Bon Dieu et son phallus (donc dressé), son
homologue masculin.
Les présentations faites, il s’agit d’ouvrir son champ de
vision et de ne jamais se contenter de regarder le détail pornographique ou
évoquant le sexe, ce qui est tentant il est vrai, tant l’iconographie choisie est
étonnante. Mais l’auteur au
regard affûté ne nous laisse pas gamberger, le contexte historique est décortiqué dans cette invitation à remonter le
temps.
Le livre est impossible à résumer tant le propos est soigneusement fouillé pour chaque sculpture sur laquelle s’arrête l’auteur. Alors pêle-mêle quelques images récurrentes : au chapitre 2, Les sirènes et l’amour, s’intéresse à ce que les fontaines disent de la féminité, ces portes d’un autre monde décrites par Chrétien de Troyes, et qui ont donné corps à de si nombreuses légendes, telles celles des jeunes filles et des épingles avec leur symbolique sexuelle. Dans le chapitre 3, la figure de la sirène nue ou toujours seins nus est diabolisée et opposée à La Sainte Vierge désexualisée (ses seins servent à nourrir) ; cette sirène est [..parfois dotée d’une double queue, elle fait le grand écart pour offrir son sexe au regard et susciter le désir..] telle Sheela, l’irlandaise (Chapelle Notre Dame-du- Tertre à Chatelaudren). L’église a dû faire bonne figure avec cette diablesse parce qu’elle est omniprésente.
B. Rio donne à chaque
fois très précisément le lieu se trouvent les représentations qu’il mentionne
mais c’est dommage qu’il n’ait pas inclus en fin d’ouvrage une carte de la région les répertoriant, ce
qui
Après avoir refermé ce livre, on ne pourra plus s’arrêter devant un sanctuaire sans avoir envie de faire son propre jeu de piste à la recherche de toutes les composantes qui justifient le lieu de culte et ses ornements, en gardant toujours à l’esprit que ces endroits rassemblent et invitent au vivre ensemble dans l’harmonie. Et surtout que les plaisirs charnels ne sont pas un péché. L’érotisme, pour ne pas dire le cul, est assurément le premier pas vers Dieu… le Bon Dieu … la Grande Déesse… Bel ode à la vie, non ?
Anne Bert
Le cul bénit- Amours sacrés et passions profanes - Bernard Rio - 190 pages - éditions Coop Breizh- oct 2013 - 25 €
Toutes les photographies de l'ouvrage sont de Bernard Rio.
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