Le bonheur est facile. Edney Silvestre.

Peu 

d'ouvrages poussent aussi loin le suspense avec talent. Et ses lecteurs risquent fort d'être suspendus, tendus jusqu'à la fin, dénouement qui est posé dès les premières lignes : quel destin pour cette enfant sourde et muette, kidnappée à la place d'une autre par d'anciens agents de Pinochet dont les âmes se sont noyées depuis longtemps ?


A l'orée de la démocratie brésilienne du début des années 90, un riche publicitaire (Olavo) aux pratiques mafieuses est rançonné : il doit verser 2 millions de Dollars pour récupérer cette enfant qui n'est pas la sienne. Il connait du monde, de tous les côtés du monde, dans nombre de mondes possibles. Stratège sans pitié, il laissera croire que l'enfant est bien sienne pour piéger les ravisseurs - du coup leurrés, ces abrutis. Sourd aux requêtes de sa femme, parviendra-t-il à ses fins ?


Cette femme, Mara, qui est-elle pour subir de tels traitements de la part de ce macho abject et tout-puissant ? Née dans la misère, elle a grandi dans les favelas, a survécu grâce au métier d'escort-girl, pour vivre aujourd'hui dans la prison dorée d'Olavo. Elle a tout accepté de lui, son mépris, sa lubricité, ses cruautés, son cynisme radical. L'overdose de l'humiliation touche le fond. Jusqu'où ?


Jusqu'aux derniers mots, on sera tenu en haleine.

L'écriture d'Edney Sylvestre crépite. Les instants sont toujours présents. Ces moments s'organisent en briques et en blocs comme autant de nouvelles, de dépêches (samedi 

17h...le même jour 8h34...six ans plus tôt, 12h54...etc.) Le récit captive l'attention la moins soutenue en une série (une suite de suites), série brisée de suites imbriquées, de blocs de fuites, de tours de passe-passe, de détours et de retours, d'avancées et de stations qui s’emboîtent formant une architecture savamment fluide.


Autant de clips très visuels et performatifs qui disent nettement ce qui s'est passé (mode de la nouvelle), ce qui se passe (mode poétique) et ce qui va se passer (mode du conte – et chute sublime). A chaque instant, une multitude de possibles s'ouvrent clairement. Quel choix fera tel protagoniste ? Quelle route prendra t-il ? Les options foisonnent et l'imagination flambe. Les chemins bifurquent et la logique demeure inébranlable. Ici, les personnages sont moins les marionnettes de l'auteur que les objets du système de la corruption, de l'argent sale et du stupre.


On est dedans. On peut parfois s'en sortir. Le bonheur est facile.


Didier Bazy


Edney Silvestre, Le bonheur est faciletraduit du Portugais (Brésilien) par Hubert Tézenas, Belfond, mai 2014, 17 €, 190 p.





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