Fernand Léger, la modernité et l’humanité

Il a tout abordé, avec entrain, sûreté et curiosité, que ce soit la peinture, le dessin, l’illustration, la sculpture, la tapisserie, la céramique, le vitrail, l’art mural et l’art sacré, trouvant au plus près de lui dans le quotidien comme dans l’existence dans ses distances les sources de son inspiration et les sujets accrochant son attention. La modernité, tumultueuse et rapide, selon ses mots, qui partout modifiait les cadres de la vie et donc les regards portés sur elle lui offrait les sensations dont il avait besoin pour accomplir sa vocation de créateur innombrable. Ce que son œil voyait en réalité, sa pensée le décomposait en formes nouvelles, en volumes, en rythmes, en tonalités inédites.
En cherchant l’état d’intensité plastique, j’applique la loi des contrastes. J’organise l’opposition des valeurs, des lignes et des couleurs contraires… écrit-il. Il s’appuie sur les contrastes soutenus mais équilibrés et écrit encore, comme pour expliquer toute sa démarche : J’oppose des courbes à des droites, des surfaces plates à des formes modelées, des tons locaux purs à des gris nuancés.

Né en 1881, année au cours de laquelle Renoir termine la célèbre toile Le Déjeuner des canotiers, mort en 1955 quand Nicolas de Staël réalise son Nu couché bleu, Fernand Léger apparaît comme à la charnière de deux siècles résolument divergents en termes d’esthétique et de rapport au réel. Il en fait une sorte de synthèse propre à lui, héritant des repères classiques et faisant siens les critères de son époque.
Il note d’ailleurs, sans doute constatant cette différence radicale dans les perceptions, que La peinture ancienne, c’est le sujet ; l’art de nos jours, c’est l’objet. C’est également parce que confronté à ce surgissement des innovations qu’il s’intéresse avec un identique attrait au théâtre, à la poésie, au cinéma, au cirque, à l’urbanisme, complétant par l’étude de ces domaines des connaissances acquises en architecture et en peinture à l’académie de la Grande Chaumière. Ainsi poussé en quelque sorte par ce désir de créer à son tour ce qu’il observe, il se lance à la découverte de Cézanne, puis de Picasso et de Braque.
Il s’installe à La Ruche en 1908 et rencontre les artistes et les écrivains qui comptent désormais, Modigliani, Henri Laurens, Delaunay, Soutine, Chagall, Blaise Cendrars, Apollinaire, Max Jacob et d’autres comme Albert Gleizes, Jean Metzinger, et les frères Duchamp. En 1917, il signe un important contrat avec le galeriste Léonce Rosenberg.

 

Lui, le Normand fidèle à ses racines, était un fils de la ruralité fasciné par le modernisme. Il était très attaché au terroir et a, en même temps, mené une carrière planétaire*.
De cet enracinement à la terre, il retire des formules révélatrices, comme celle-ci : Un chêne que l’on peut détruire en 20 secondes met un siècle à pousser. Les oiseaux sont toujours merveilleusement habillés, le progrès est un mot dénué de sens et une vache qui nourrit le monde fera toujours trois kilomètres heure.
Le musée Fernand Léger-André Mare qui se situe à Argentan, dans la maison d’enfance de Léger, retrace ce parcours déroutant par bien des aspects et résolument unique.
Mobilisé dans le Génie en 1914, Fernand Léger reste simple soldat jusqu’en 1917, date à laquelle il est hospitalisé puis réformé. Il effectue plusieurs voyages aux États-Unis où il expose et enseigne à l’université de Yale. 1945 marque le retour en France avec un ensemble considérable de toiles et de travaux sur papier, l’Amérique lui ayant donné le désir de peindre en grand et librement.

 

Retardée deux fois, l’exposition qui s’ouvre au musée Soulages, réunissant près de 90 œuvres, est une magnifique rétrospective sur Fernand Léger. Elle explore trois des thèmes majeurs du peintre, la ville, le monde du travail et les loisirs.
De l’étendue parisienne à la verticalité new-yorkaise, c’est d’abord le traitement de l’espace que Léger analyse, le reprenant ensuite avec les bâtisseurs suspendus en hauteur entre les poutrelles et les charpente des gratte-ciels (Les Constructeurs, 1951), puis y insérant ces femmes et ces hommes en maillots colorés, à bicyclette, au bord de l’eau, danseurs et acrobates, tous physiquement épanouis, profitant des congés payés pour se reposer, faire du sport, prenant ainsi la vie à bras-le-corps, l’artiste montrant son vif intérêt pour l’histoire sociale de cette période, ainsi que le note Maurice Fréchuret.

Pierre Soulages et Fernand Léger se rencontrèrent chez Louis Carré, important galeriste qui exposa aussi bien la sculpture grecque que Calder et Juan Gris. Comme le raconte Benoît  Decron, Fernand Léger dit un jour à Soulages, celui-ci étant admiratif d’un panneau de céramique noire et blanche : T’as raison mon vieux, il n’y a que le noir et blanc. Benoît Decron estime que Léger est une vedette des manuels d’histoire de l’art moderne et pour autant réserve encore bien des surprises. Jugement tout à fait approprié, ce catalogue qui accompagne l’exposition en apportant la preuve et retraçant la longue et belle carrière d’un artiste qui sut parfaitement associer le figuratif et le cubisme, l’art subjectif qui s’appuie sur une matière première objective.

Dominique Vergnon

 

Benoît Decron et Maurice Fréchuret (sous la direction de), Fernand Léger, la vie à bras-le-corps, 215x280 mm, 120 illustrations, Gallimard-musée Soulages, mai 2022, 224 p.-, 32€

https://musee-soulages-rodez.fr; jusqu’au 6 novembre 2022 ; musée Soulages, jardin du Foirail, avenue Victor Hugo 12000 Rodez - ouverture du mardi au vendredi : 10h-13h et 14h-18h et samedi & dimanche: 10h-18h - ouvert tous les jours de 10h-18h en juillet et août

  • Benoit Noël est historien de l'art

1 commentaire

Un artiste qui porte bien mal son nom...

André Lombard