Quatre saisons sur l’étang de l’Or

Il a été le sujet d’un roman sous la plume de Gaston Baissette, le voici sujet d’une série de tableaux qui le représente de janvier à décembre sous le pinceau de Vincent Bioulès.
L’étang de l’Or est pour ce dernier davantage qu’un site, il est un paysage. Le mot ne rime-t-il pas avec visage ? Son travail : une année d’observation des variations d’atmosphère, des passages de nuages, des rides sur l’eau, des nuances de la fine bande de terre qui délimite l’horizon et coupe chaque tableau presque toujours au même niveau. Le ciel tantôt gagne sur l’onde agitée, tantôt cède la place à une nappe calme.
Si la Méditerranée n’est pas loin, il semble qu’elle ne lui enlève rien de ses propriétés propres, qui est d’être toujours lui-même tout en changeant sans cesse d’apparence. Riant en avril quand dans le ciel des points blancs en grand nombre marquent la présence du printemps, apaisé en septembre alors que déjà les clartés baissent, provocant en novembre juste avant que n’éclate un orage et que tout se tisse de gris sombre sur le plat d’une étendue identique. L’eau avait reflété en mai un nuage assez lourd et comme maçonné par les jeux de couleurs. Un autre mois et le ciel est un immense rectangle pointilliste. En dépit du silence, du vide à peine rompu par le repère d’une petite maison au bout d’un fin promontoire de terre, la lumière est habitée.

Né non loin, à Montpellier, on devine aisément que Vincent Bioulès qui aime revenir et rester devant le motif, a longtemps regardé l’étang jusqu’à s’imprégner de ses traits pour en saisir ainsi les conversions physiques. Les quatre saisons sont chacune une révélation de sa nature, au double sens du terme. D’un côté une zone humide où la profondeur n’est guère significative, relié à la mer par un seul grau, riche en flore et en faune. De l’autre le caractère d’un lieu dont seul un artiste peut comprendre les humeurs et les restituer sur la toile. Pour faire valoir la diversité des jours, le peintre a retenu un parti pris coloré, net et tranché : des bleus et des roses délicats, des outremers et des violets impénétrables, des verts acides, des beiges ou des gris fuligineux, selon les mots de Michel Hilaire, directeur du musée Fabre de Montpellier, qui accueillit une exposition Bioulès en 2019.
 

Le déploiement des saisons est étiré là, entier dans ces toiles de même format, assez longue pour donner à voir combien ce plan unique que Vincent Bioulès décompose, détaille, scrute, analyse, déforme, cadre sous le même angle, a pris chez lui une grandeur presque affective de manière à ce que pour le regard du spectateur il offre cette ampleur assurément expressive.

On n’en doute pas, à voir cette exposition, Vincent Bioulès a peint le site à sa guise, comme il l’avoue, et c’est tant mieux. Rien de plus authentique que cet enthousiasme qui transparaît chez lui pour avoir repris le thème de mois en mois, l’avoir en quelque sorte traduit vivant, respirant l’air qui brouille les distances, ressentant le froid qui fige les contours, reproduisant la chaleur qui les dilate. Le fait remarquable est que le pinceau donne une dimension d’infini à ces quelques trois milles d’hectares.

 

Une longue carrière a permis à Vincent Bioulès de tout voir et de tout dire. Sa formation académique, sa découverte de l’abstraction, ne perdant jamais contact avec le figuratif, soucieux de recherches plastiques inédites, bien sûr son rôle fondateur dans le mouvement Support/Surfaces, il peut-être impressionniste rigoureux autant que portraitiste inventif. Il use de l’aquarelle autant qu’il expérimente des matières et des triturations.
Edward Hopper est pour lui une révélation pour l’absence totale de coquetterie dans l’exécution, le dédain pour la touche et l’élégance du geste. De même est-il-séduit par la veine onirique de Derain.

Professeur, décorateur, créant des costumes et des vitraux, présent à travers ses œuvres lors de dizaines et de dizaines d’expositions, Vincent Bioulès, quel que soit les tons de son discours esthétique, nous dit que la fonction fondamentale de la peinture, la première, est de décrire le monde. Il avoue aussi que s’il revient sur un sujet, c'est parce que je n’ai pas le sentiment de l’avoir épuisé.
Ses vues de mois en mois de l’étang de l’Or sont bien la meilleure preuve de sa manière de voir le monde.  


Dominique Vergnon

Vincent Bioulès, Les douze mois de l’année, catalogue publié à l’occasion de l’exposition du peintre à la Galerie La Forest Divonne, Paris ; éditions Méridianes, 20 p.-, 10 €

Michel Hilaire, Stanislas Colodiet, Vincent Bioulès, chemins de traverse, 350 illustrations, 240 x 280, édition Bernard Chauveau, juillet 2019, 400 p.-, 42 €

Galerie La Forest Divonne, 12 rue des Beaux-Arts - 75006 Paris

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