Bernard Leconte, Qu'allons-nous faire de grand-mère ? : That's the question...

Un titre assez explicite pour nous aiguiller d'emblée sur une question "sociétale", comme disent ceux qui ont de l'instruction. Et même une question d'une actualité brûlante. De quoi craindre le pire. Le roman à thèse. Le prêchi-prêcha. La rhétorique. La pensée politiquement correcte - ou, à l'inverse, une argumentation contestataire dépourvue de nuances. Autant d'écueils entre lesquels Bernard Leconte navigue avec l'aisance du loup de mer rompu à tous les périls.

 

Un roman, donc. Tout simplement. Encore l'adverbe est-il inadéquat : il n'est jamais simple d'écrire un roman, et l'apparence de simplicité traduit en réalité la maîtrise suprême. Tel est donc le mérite essentiel de l'auteur. Il ne démontre pas, il montre. Et ce qu'il montre, sans emphase, sans pathos, est cent fois plus éloquent, plus persuasif que les discours les mieux agencés.

 

À l'heure actuelle, soixante-dix neuf ans, c'est encore la belle âge. L'héroïne de ce roman, Rosette - le surnom que son défunt mari avait donné à Françoise en raison de son amour des fleurs -, pourrait en témoigner. Sans avoir lu Candide, elle applique son précepte de sagesse en cultivant son jardin. Pimpante et toujours alerte. Réservée sans être sauvage. Un amour de vieille dame. Son voisin Despature, agrégé des lettres à la retraite, a noué avec elle des relations timides. Sous le signe de la tomate et du cyclamen. Jusqu'au jour où elle pousse l'audace jusqu'à l'inviter chez elle. Et à lui servir, imprudence folle, un verre de whisky.

 

Ce whisky est à l'origine de bien des malentendus. De drames sur lesquels on ne s'étendra pas, sous peine de déflorer l'intrigue. Il suffit de savoir que Rosette est mère de cinq grands enfants, deux filles et trois garçons, au caractère et au destin assez dissemblables, mais qui se rejoignent sur un point : considérer comme un poids mort, si l'on ose cette anticipation, une mère dont ils décrètent, un peu bien vite, qu'elle est désormais incapable de se suffire. Ainsi va basculer le destin de celle-ci. Un destin sur  lequel elle n'a aucune prise. Ainsi du fatum des anciens tragiques.

 

L'histoire pourrait être des plus noires. Voire des plus sordides. Si tel n'est pas le cas, c'est que l'auteur est foncièrement aimable. Il narre les tribulations de Rosette sur un ton tranquille. Avec un flegme ravageur. Il appartient à cette catégorie de romanciers que l'on dit "réalistes", attentifs au décor, au détail significatif qui donne à voir et à entendre. Quant à ses personnages, ils ne sont pas dépourvus de relief.

 

C'est un observateur avisé de notre époque, Avec cela, des notations de pince-sans-rire qui font que son récit est traversé de traits d'humour et de cocasserie. Mais le comique tourne vite court. Demeure alors la crudité du témoignage et le réquisitoire implicite qui lui donne toute son intensité.

 

Jacques Aboucaya

 

Bernard Leconte, Qu'allons-nous faire de grand-mère ?, L'Éditeur, janvier 2013, 125 pages, 14 €

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