"Tyrannie chérie" : Leconte à rebours

A rebours. Le titre est déjà pris, depuis 1884. Dommage. Il eût parfaitement convenu au livre de Bernard Leconte. Lequel, dans ces pages, se révèle un satané réactionnaire. Ce dont, à vrai dire, on se doutait un peu, pour avoir lu ses précédents ouvrages.

 

Ainsi lui arriva-t-il naguère de se croiser pour défendre le bon français. Quelle idée extravagante ! Pourquoi pas l'orthographe, de surcroît ! On ne fait pas plus ringard. Plus coupé des réalités. Il n'aurait pas fallu le pousser beaucoup pour qu'il prônât l'étude des humanités, le retour à la courtoisie, aux bonnes moeurs. A la civilisation. Il a même aggravé son cas en s'intéressant à La France de Sacha Guitry. Pis encore, en lui trouvant bien des charmes. Comme à Stendhal, qui lui est une référence très chère. C'est assez dire le passé trouble de cet écrivain qui pousse la singularité jusqu'à s'exprimer dans une langue aussi précise qu'élégante, persillée d'humour, assaisonnée de sel attique.

 

A cet égard, le présent volume ne le cède en rien aux précédents. Sauf qu'ici, l'auteur de Qu'allons-nous faire degrand'mère ? se fait virulent. Et même vindicatif. Point de circonlocutions : il appelle un chat un chat et un politicien un fripon. Ou, plus souvent, un imbécile.

 

Tout commence par une ébauche d'autobiographie. Une amorce d'auto-panégyrique. Le prologue d'un traité d'autosatisfaction qui tournera vite court, tant il est vrai qu'il est plus agréable de décocher des flèches aux fâcheux de tout poil que de s'adresser à soi-même des brassées de roses - eût-on la caution de Pascal et de La Rochefoucauld.

 

On y apprend donc que Leconte fut, dès sa jeunesse, différent de ses contemporains. Et même que sa lucidité le poussa à militer - oh, brièvement - dans "un petit parti qui avait eu son heure de gloire un petit siècle plus tôt, qui avait été dans cette époque lointaine jusqu'à grappiller 5% des voix dans des élections nationales et qui, au moment où [il] [se] mettait à loucher de son côté, devait compter deux, trois mille adhérents dans toute la France." Que ceux qui n'ont pas reconnu le "petit parti" en question écrivent à l'éditeur, le livre leur sera remboursé.

 

Très vite, pourtant, l'auteur cesse de parler de lui. Ou, du moins, s'il se dévoile, c'est de façon indirecte. En creux. Le terrain qui lui convient le mieux n'est pas le champ d'honneur, c'est le champ de bataille. L'objet de sa vindicte ? La politique et ceux qui s'y adonnent. La politique, parce qu'elle est une école du mensonge et qu'elle fausse le jugement. Ceux qui s'y consacrent, parce qu'ils y acquièrent, fatalement, l'esprit de parti et que l'esprit de parti rend bête. Tous des salauds ? Non, hélas. La plupart sont sincères - ce qui aggrave encore leur cas.

 

Quant à la démocratie, dont nous nous gargarisons, à laquelle nous prêtons toutes les vertus, elle n'est qu'une illusion. Un faux semblant. Un concept vide de toute substance. "Tout au mieux le cache-sexe, tantôt de l'aristocratie, tantôt de l'oligarchie, tantôt de la timocratie, tantôt de la médiocratie ou de l'imbécillocratie et de la monarchie et quelquefois de toutes ces choses-là mélangées." Le comble, c'est qu'il le démontre. Par des tours de passe-passe dont on peine à trouver la faille. Avec des arguments à peine controuvés. Et un sérieux imperturbable.

 

On voit par là que cet homme est dangereux. Pour l'ordre public. Pour la morale commune. On frémit rétrospectivement en apprenant que, dans une autre vie, il a exercé dans un lycée ses talents de pédagogue. Quels périls n'a-t-il fait courir aux adolescents qui lui étaient confiés ! Il passait jusqu'ici pour un aimable Ronchon se bornant à épancher sa bile dans les recueils composés par des hargneux de son acabit, aussi inoffensifs que lui. Quelle erreur ! Il cachait bien son jeu.

 

Il n'est donc que temps d'allumer un contre-feu. Pour l'empêcher de nuire, je ne vois, pour ma part, qu'un moyen efficace : acheter son petit livre en grande quantité. Le diffuser autour de soi. Le faire lire aux grands et aux petits, afin que tous soient informés de sa nocivité. Pour leur édification, tous les Chinois se devaient, au siècle dernier, de lire le Petit Livre rouge de leur empereur. Je propose que le petit livre de Leconte, ni vraiment bleu, ni vraiment vert, remplisse un office semblable. Si j'étais demain, ce qu'à Dieu ne plaise, Premier ministre, voire simple ministre de l'Education nationale, c'est, en tout cas, la première mesure que je prendrais.

 

Jacques Aboucaya

 

Bernard Leconte, Tyrannie chérie, Editions France Univers, mai 2013, 74 pages, 17 €.

 

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