Bernard Marck, Antoine de Saint Exupéry : vie d’un héros

La biographie d’un écrivain aussi légendaire que Saint Exupéry est un exercice proche de la gageure. Aviateur célèbre et héros de la grande aventure de l’Aéropostale, il devint encore plus célèbre grâce au Petit Prince, incontournable lecture de trois générations d’adolescents dans le monde entier. Mais cette célébrité justement brouilla l’image de l’homme. Ses exploits d’aviateur, qui lui firent partager la gloire d’un Mermoz et d’un Guillaumet, n’en révélèrent pas le secret, et l’énigmatique légende du Petit Prince au long foulard n’apporta pas plus de lumière.

 

Le travail exceptionnel de richesse et de précision de Bernard Marck produit un résultat paradoxal : l’accumulation des faits ─ jusqu’à la valise de peau de porc que son épouse Consuelo lui fait porter en Algérie ! – aboutit à créer une épaisseur romanesque. Le lecteur « assiste » à la vie quotidienne de Saint Ex comme il suivrait du regard un docu-fiction composé de films d’époque qui se serait appelée Vie d’un héros ; on ne s’y ennuie guère : les personnages célèbres abondent, outre Mermoz et les autres, on trouve Blaise Cendrars, Adrienne Monnier, André Gide, Louise de Vilmorin, Jean Gabin, Charles et Anne Lindbergh, Jean Renoir, Annabella, Tyrone Power… C’est au lecteur de porter un jugement. Marck, lui, s’en garde bien. Et bien hardi est celui qui peut juger une vie.

 

Homme d’action, à l’occasion casse-cou, Saint Ex fut aussi un séducteur impénitent : élevé par des femmes, « comme dans un cocon », disait-on alors, il rechercha plus tard chez les femmes la compréhension que les amitiés viriles, toujours empreintes d’orgueil et de pudeur, ne pouvaient évidemment lui offrir. Et elles furent nombreuses. Sa propre épouse, Consuelo Sandoval, y apparaît plus comme une associée que l’amour d’une vie, encore qu’elle ait toujours porté certain long foulard… Avait-elle inspiré le Petit Prince ? Nul ne le sait. Mais lui, qui fut-il ? Hasardons une hypothèse : un petit garçon auquel l’âge adulte imposa la carapace d’un Surmoi étouffant. Aucune femme ne pouvait l’en délivrer.

 

Le désenchantement le frappe en décembre 1936 avec la mort de Mermoz. Il s’évertue à défier la mort. Il subit ensuite la guerre comme un coup personnel du destin. Il part pour les États-Unis, décidé à faire entrer ce pays en guerre aux côtés de l’Angleterre. Il est alors, et depuis Terre des Hommes, un écrivain confirmé. Et il se retrouve alors dans la pire des situations : partisan de la Résistance française, il s’engage auprès du général Giraud, contre De Gaulle, dont les Américains se méfient, pour dire le moins.

 

Il brûle de reprendre du service, bien que sa forme physique ne s’y prête plus autant et que les gaullistes le tiennent à l’écart. Il réussit à se faire engager dans le groupe de reconnaissance 2/33, dont la mission est de préparer le débarquement américain en Provence. Le 31 juillet 1944, son bimoteur P-38 s’écrase dans les flots au large de Marseille, peut-être abattu par un chasseur de la Luftwaffe.

 

Un véritable peloton d’exécution se charge alors de faire voler en éclats l’image de Saint Ex. Jean Cau, Jean-François Revel, Claude Roy sont les tireurs ; ce dernier écrit : « La Sainte Trinité des professeurs de l’âme, Camus, Simone Weil, Saint Exupéry est l’incarnation de la sottise absolue. » Camus et Simone Weil, eux, survécurent à cette volée de balles. Saint Ex en souffrit.

 

On le sait bien, le faubourg Saint-Germain est le Mont Valérien des écrivains qui vont contre le vent. Aussi Saint Ex s’était mêlé d’écrire. Et il avait eu du succès. « Mon ami, eut pu lui conseiller l’un des nombreux écrivains qu’il croisa, écrire et avoir un public, c’est plus dangereux que de voler sur un avion mal révisé. » 

 

Gerald Messadié

 

Bernard Marck, Antoine de Saint Exupéry, tome 1, La soif d’exister (1900-1936), tome 2, La gloire amère (1937-1944), L’Archipel, septembre 2012, 557 et 517 pages, chaque tome 24 €

 

1 commentaire

S'il y a un écrivain qu'on ne se lasse jamais de lire,c'est bien Antoine de Saint Exupéry.Et pour cause,tout y est:sobriété,pensée et culte de l'homme responsable au service  de la communauté pour l'accomplissement de l'Homme.

On chercherait vainement , à travers  ses écrits ,à mettre dans une phrase quelque synonyme à la place d'un mot employé;le résultat n'aboutirait qu'à mutiler le message véhiculé.

Plus qu'un homme de lettres,c'était un penseur pour qui le devenir de l'Homme représentait le thème majeur,incontournable;la seule justification du passage de l'être humain sur Terre.
Pas n'importe quel devenir.L'action responsable délivre l'individu,elle le forge pour qu'il serve la communauté et collabore à la construction de l'Homme:

"Car tu demandes à être bien planté,bien lourd de droits et de devoirs,et responsable,mais tu ne prends pas une charge de maçon dans un chantier ,sur l'engagement d'un maître d'esclaves.Te voilà vide si tu fais transfuge."

vol de nuit est un chef d’œuvre dans ce sens pour ne pas dire qu'il résume sa pensée ,donc son œuvre.