Bernard Noël : Prélude à la mort annoncée

Le poème garde toujours chez Bernard Noël un côté mobile et flexible dans la dynamique d’une approche presque pulsionnelle de la mort et en même temps (comme dit Macron) d'une manière de s’en moquer - avec sérieux. L’auteur possède le don de flairer les traces des mots que l’on garde sur le bout de la langue sans que l’on puisse les nommer exactement. Il les transforme en ce qui se qu’on comprend bel et bien. D’où dans « Le poème des morts » des fragments somnambuliques de l’inachèvement. Certes l’auteur ne se fait pas d’illusion : « J’attends ton signe depuis l’au-delà / impensable qui ne survienne pas / ce que tu fus engage qui tu es ».

Il prouve toutefois comment son œuvre se situe en-deçà ou au-delà des principes les plus habituels de l'Imaginaire. Avec lui le vrai théâtre de la cruauté « suit son cours » de toujours. Selon une posture « post-mortem » l’auteur engage ce qui vient comme ce qui fut mais « que la langue évite de nommer ». Non seulement la mort mais la vie. Dans notre époque elle est « désormais une entreprise / tout s’y mesure en rentabilité/ plus de social mais seul le rendement/ il faut savoir spéculer sur soi-même ».Il existe donc moins de vie dans la mort que de mort dans la vie.

Le poète du silence sait encore et toujours le casser pour mettre à nu ce qu’on éprouve. Il rappelle (manière de se rassurer ?) que la mort n’est rien puisque tout a déjà été perdu. Ce qui n’empêche pas, dans le dur désir de durer, de préserver encore le désir – plus que le rêve – de parler avant de devenir charogne ou cendre. Le poème devient la mise en scène d'une machine à produire le réel particulier ni symbolique, ni réaliste. Surgit moins un néant originel ou le reste d'une totalité perdue qu’une vision «innommable » de l’être et du peu qu’il est. L’auteur reste en conséquence capable de d’émettre des signes d’une révolte larvée mais révolte tout de même.

Jean-Paul Gavard-Perret.

Bernard Noël, « Le poème des morts », Editions Fata Morgana, Fontfroide le Haut, 2017, 48 p.

 

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.