La vie privée de Sherlock Holmes

Seuls les plus grands héros de fiction ont droit à une existence quasi-officielle dans le monde réel. Hercule Poirot eut droit à un obituaire dans la presse. Superman eut sa rubrique nécrologique. Et Sherlock Holmes, un mélange des deux après tout (rappelons qu'il est un athlète et un boxeur accompli !) ne déroge pas à la règle.

Ouvrage simple et efficace, doté d'une iconographie agréable et parfois amusante, il permettra aux profanes de découvrir sans mystères mais aussi sans mystification le vrai visage de Holmes et de son « père » Arthur Conan Doyle. Sur ce dernier, un peu de déception, mais après tout l’ouvrage ne lui est pas spécifiquement consacré : sans atteindre à l’étude autobiographique complète, ce petit livre ravira les amateurs d’histoires à rebondissements, car l’histoire de Doyle est ainsi : du petit médecin de quartier au défenseur des causes perdues, en passant par l’écrivain adulé, le voyageur et l’occultiste, cet écrivain hors normes apparaîtra aussi haut en couleurs que son héros détective !

Mais la partie la plus intéressante n’est sans doute pas dans la trop rapide analyse de la psychologie de Doyle, ou dans le survol superficiel de son engagement judiciaire. On se reportera pour cela à l’excellent livre Conan Doyle détective de Peter Costello, dont une lecture critique est disponible sur ce site.

Le personnage n’est pas approché selon un angle exégétique. Il est surtout question de ses avatars, de son existence « réelle » : on saura tout sur les lettres qui lui sont adressées, sur sa maison, sur ses habitudes vestimentaires (on apprend par ailleurs que Doyle, qui a fini par détester son héros, a donné son aval à une vision fantaisiste de son personnage, qui n’apparaît pas dans les livres, d’où la fameuse tenue connue de tous et la non moins fameuse pipe, inventions d’un acteur célèbre pour le théâtre, et qui n’a rien à voir avec le portrait de Holmes dans les œuvres écrites ! Et on ne parlera pas d’une certaine phrase « élémentaire », elle aussi née en dehors du canon de Doyle…). La liste des dérives interprétatives, ou devrait-on dire des délires interprétatifs de ceux qui font revivre Holmes dans des reconstitutions dignes de « geeks » lors des conventions de super-héros aux Etats-Unis, sorte de « cosplay » victorien, est fort plaisante à lire.

Le chapitre inévitable sur les adaptations filmées tient plus du catalogue que de l’analyse, là encore, et on regrettera, malgré l’exhaustivité du propos, le manque de détails ou de profondeur critique. Mais le lecteur aura de quoi se mettre sous la dent, enfin sous l’œil, si l’on peut dire, en recherchant toutes ces incarnations télévisuelles ou cinématographiques.

Finalement, un petit livre qui est un condensé du phénomène Sherlock Holmes, dans les méandres des divers hommages que ce personnage a reçu (ou subi…) depuis sa création. Un certain humour diffus finit par se dégager de cette bien sympathique compilation, est n’est-ce pas là l’essence même de ce monde suranné, de cette Angleterre devenue archétypale, réceptacle des désirs et des fantasmes, voire des illusions dramatiques, au sens théâtral du terme, de ceux qui continuent aujourd’hui à perpétuer la mémoire d’un héros de fiction plus réel qu’un être véritable ?

Romain Estorc


Bernard Oudin, Enquête sur Sherlock Holmes, Gallimard, « Découvertes », février 2009, 95 pages, 10,40 euros.

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