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Alfred de Vigny : Biographie


Vie et œuvre d’Alfred de Vigny (1797-1863).

Le comte Alfred de Vigny occupe une place à part dans la poésie romantique. Il se sentit d’abord porté vers la carrière militaire, où s’étaient illustrés son père et ses aïeux. Entré dans l’armée au moment où l’épopée impériale était close, il ne pouvait avoir, comme officier, que des déceptions. En 1823, cependant, il partit pour la guerre d’Espagne ; mais son régiment laissé en observation à la frontière, ne prit part à aucun combat. Il ne rapporta de cette expédition que les vers du Cor, sur la mort de Roland. Aussi démissionna-t-il, en 1827, pour se retirer dans sa « tour d’ivoire ».

 

Depuis 1828, il s’était mêlé au mouvement romantique ; il avait collaboré au Conservateur littéraire de Victor Hugo. En 1822, il publia son premier recueil. En 1826, il en fit une édition augmentée, sous le titre de Poèmes antiques et modernes. Puis il se tourna tout entier vers le roman et vers le théâtre. Il ne donna plus, comme poèmes, que le Mont des Oliviers et la Maison du berger (insérés dans la Revue des Deux-Mondes). Après sa mort seulement parut le livre intitulé les Destinées, et qui comprend, avec les deux pièces que nous venons de nommer, ses plus beaux poèmes : la Colère de Samson, la Mort du loup, la Bouteille à la mer, l’Esprit pur.

 

La philosophie de Vigny

 

Vigny est surtout un penseur. De là, une production réduite, qui suppose de longues méditations ; de là aussi, dans l’expression, moins de facilité que Lamartine, moins de virtuosité que Victor Hugo. Cette philosophie est un pessimisme hautain, qui mène le poète non pas au désespoir ou à la foi, mais au stoïcisme et à la pitié. Le point de départ de ce pessimisme est l’isolement douloureux et humiliant, dans lequel se sent l’homme supérieur ; l’humanité, dont pourtant il est le guide, ne le comprend pas et ne l’aime pas (Moïse). Or, ce n’est pas l’amour qui le consolera : l’amour n’est que trahison (la Colère de Samson). Ce n’est pas non plus la Nature, si accueillante pour Lamartine ; la Nature n’est pas une mère, mais une tombe (la Maison du berger). Au moins, l’homme peut-il tourner les yeux vers le ciel ? À ses angoisses la Divinité donne-t-elle une solution ? Non, Dieu est indifférent, et l’homme ne répondra plus que par un froid silence. Au silence éternel de la Divinité (le Mont des Oliviers). Que l’homme donc se renferme dans un stoïcisme farouche. Comme le loup acculé par les chasseurs, qu’il « meure sans parler » (la Mort du loup). Cependant il peut trouver une diversion à son malheur dans la pitié et dans l’amour pour ses semblables : il peut aimer la majesté des souffrances humaines (la Maison du berger) ; il peut lutter avec la nature et en triompher (la Sauvage) ; il peut surtout préparer le progrès pour l’humanité future : qu’il travaille à son œuvre, sans en attendre la récompense actuelle ou le résultat immédiat ; si cette œuvre est vraiment grande, quelque jour elle sera comprise et féconde (la Bouteille à la mer).

 

Il y a de la beauté dans ce pessimisme, et Vigny a su présenter ses idées dans « des symboles » bien choisis, saisissants par leur simplicité et par leur puissance. Mais enfin, c’est un système, et rien n’est moins favorable à l’inspiration lyrique, laquelle sort des contradictions psychologiques et morales du cœur. Et cette indifférence superbe à l’égard de la nature prive, les sujets de décor, de profondeur, et de ce que les paysagistes et les peintres en général appellent de l’air. Voilà pourquoi Vigny fait plutôt des bas-reliefs que des statues, et des dessins que des tableaux. Il lui arrive parfois de formuler, en des vers d’une idéale beauté, les colères ou la résignation de son orgueil ; la Maison du berger, la Mort du loup et le Mont des Oliviers contiennent quelques-uns des vers les plus parfaits de notre langue.



 

Les Drames d’Alfred de Vigny

 

En 1829, Vigny donna au Théâtre-Français une traduction intégrale en vers de l’Othello de Shakespeare ; en 1831, la Maréchale d’Ancre, en prose, dont les principaux personnages sont Concini et sa femme Éléonore Galigaï. Ces deux pièces n’obtinrent qu’un succès d’estime. Mais, en 1835, Vigny obtint un triomphe avec Chatterton.

 

Chatterton est tiré par Vigny de son roman de Stello (paru en 1833). C’est l’histoire d’un jeune poète méconnu, malade, logé chez un industriel avare et dur, John Bell. Il ne trouve de pitié qu’auprès d’un quaker établi dans la maison, et de Kitty Bell, femme de John. Celle-ci secourt discrètement Chatterton, mais évite de le rencontrer et de lui parler, tant elle se sent troublée par sa présence. Un amour inconscient, fatal, si puissant malgré son mutisme qu’il doit les réunir dans la mort, s’est emparé de ces deux cœurs ; et c’est l’expression de cet amour combattu et refoulé, se trahissant par des gestes, des intonations, des maladresses, qui élève ce drame à la hauteur d’une tragédie. Le dénouement est d’une simplicité terrible. Chatterton s’empoisonne : Kitty Bell, à qui il vient d’avouer son amour, meurt de l’émotion que lui cause sa mort, sans une phrase. Une partie, avouons-le, a vieilli dans ce drame, celle à laquelle Vigny attachait le plus d’importance, la thèse, à savoir que la société est coupable de ne pas reconnaître et entretenir le génie. C’est pour la thèse que Vigny a écrit Chatterton: mais c’est comme drame d’amour que Chatterton a vécu.

 

Le roman historique

 

Alfred de Vigny a publié en 1826, Cinq-Mars ou une Conjuration sous Louis XIII. Dans l’introduction, il présente une théorie du roman historique, où il revendique les droits du poète en face des droits de l’histoire. C’est pourquoi il invente beaucoup plus qu’il ne peint ses personnages : Louis XIII, Cinq-Mars, de Thou, Richelieu.

 

En 1832, Vigny donna Stello ou les Diables bleus, dans lequel l’histoire n’intervient qu’à titre d’exemples. Il s’agit, pour l’auteur, de démontrer une thèse, à savoir que le poète, ou plus généralement l’homme de lettres, est un incompris, quelle que soit la forme politique de la société où il essaye de vivre : monarchie absolue, monarchie constitutionnelle, république. Les trois exemples sont : Gilbert, Chatterton et André Chénier. Du second de ces épisodes, Vigny fit en 1835 un beau drame ; le troisième est le plus émouvant, mais Vigny attribue trop légèrement à Marie-Joseph Chénier un rôle odieux.

 

Le dernier roman de Vigny, Grandeur et Servitude militaire (1835), est encore une « démonstration », très noble d’ailleurs, et qui fait honneur au soldat-poète. L’histoire n’y apparaît que comme fond de tableau dans les nouvelles destinées à illustrer le livre : Laurette ou le Cachet rouge, la Veillée de Vincennes, la Vie et la Mort du capitaine Renaud ou la Canne de jonc. C’est, à tous les points de vue, et malgré une solennité quelque peu creuse dans les chapitres de théorie, la meilleure œuvre en prose de Vigny.


 

[Source : Charles-Marc Des Granges, Les Grands écrivains français des origines à nos jours, Librairie Hatier, 1900]

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1 commentaire

anonymousrrr

oui mais enfant