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Crébillon : Biographie


Biographie de Crébillon (1674-1762)

 

Les circonstances favorables dans lesquelles Prosper Jolyot de Crébillon parut expliquent seules son immense succès. À l’époque où il composa ses tragédies, la scène française était vide ; Corneille et Racine étaient morts, et Voltaire n’était pas encore né ; Campistron seul, faible copiste de Racine, brillait au premier rang.

 

Prosper de Crébillon, dit Crébillon père, naquit à Dijon, en 1674. Il fit d’abord des études de droit, et fut employé chez un procureur, nommé Prieur. Le procureur aimait la poésie et encouragea son jeune clerc à cultiver les lettres. Crébillon céda a ses conseils autant qu’à son goût personnel. Prieur vivait encore, en 1707, lorsque Crébillon fit représenter Athrée et Thyeste : quoique malade, il se fit porter au théâtre et dit au jeune auteur en l’embrassant : « Je meurs content, je vous ai fait poète, et je laisse un homme à la France. » Crébillon fut loin de trouver les mêmes encouragements dans sa famille ; son père, irrité d’apprendre que son fils abandonnait le droit pour le théâtre, le déshérita, et ce ne fut que lorsque les succès eurent rendu le poète célèbre qu’ils se réconcilièrent.

 

Une éducation plus soignée eut pu faire de Crébillon un poète de premier ordre ; malheureusement, ses études littéraires avaient été superficielles, et il n’avait qu’une connaissance fort imparfaite des écrivains classiques. Il ne s’était nourri que des mauvais romans de Mme de Scudéry et de La Calprenède, et cette lecture avait gâté son génie ; c’est là qu’il prit le goût des sentiments factices et des aventures romanesques qui sont la trame de toutes ses pièces.

 

Crébillon aurait pu peut-être compléter, par un travail soutenu, ce qu’il y avait d’inachevé dans ses premières études ; malheureusement, il était d’une paresse excessive. Grâce à une facilité de composition merveilleuse et à une mémoire phénoménale, il ne se décidait à prendre la plume et à écrire ses tragédies que pour donner les rôles aux comédiens chargés de les représenter sur la scène.

 

Il ne se fit pas illusion sur son mérite personne : se voyant impuissant à égaler les grands maîtres de la scène française, il se traça une voie nouvelle, et créa un genre dramatique à part, le genre terrible. « Corneille, disait-il, a pris le ciel, Racine la terre ; il ne me restait plus que l’enfer ; je m’y suis jeté à corps perdu. » En effet, ses pièces sont remplies de situations affreuses, de crimes épouvantables : ainsi dans Athrée, ce prince est représenté offrant à son frère Thyeste le sang de son propre fils à boire dans une coupe.

 

Crébillon essaya de corriger ce grand défaut en introduisant dans ses pièces des sentiments plus tendres. Le jour où il voulut s’affranchir de ses souvenirs romanesques et écrire sous son inspiration personnelle, il fit un ouvrage de génie : Rhadamyste et Zénobie. Malheureusement, ce ne fut qu’un accident, et il reprit dans ses tragédies historiques, Xerxès, Pyrrhus et Catilina, le genre mauvais qu’il avait paru abandonner.

 

Le style de Crébillon est défectueux et ne souffre pas de comparaison avec celui de Corneille, de Racine et de Voltaire. Il fourmille de termes impropres, de consonances dures, de mots inutiles, de rimes négligées. Quand Rhadamyste et Zénobie parut, un ami du poète s’avisa d’aller lire cette tragédie au vieux Boileau malade. Celui-ci écouta assez attentivement les deux premières scènes, mais bientôt, n’y tenant plus, il se leva en colère et dit à l’importun : « Quoi, Monsieur, vous voulez hâter ma mort par la lecture de ces détestables vers ! Voilà un autour devant lequel les Boyer et les Pradon sont de vrais soleils. J’ai moins de regret à mourir, puisque notre pays produit de pareils auteurs. » Boileau, ainsi que le remarque Voltaire, était dans un âge et dans un état où l’on n’est sensible qu’aux défauts et où les beautés passent inaperçues.

 

Crébillon avait, comme d’autres grands hommes, des manies bizarres. Il vivait constamment seul, en compagnie de petits chiens, animaux qu’il affectionnait particulièrement. Il ramassait dans la rue ceux qu’il trouvait, beaux ou laids, sales ou propres, les mettait sous son manteau et les portait dans sa chambre. Là, il s’amusait à faire leur éducation ; apprenait à l’un à faire le mort, à l’autre à sauter avec grâce par dessus sa canne ; un autre avait pour devoir de refuser un morceau de sucre qu’on lui présentait de la main gauche et de l’accepter de la droite… Lorsque leur éducation était achevée, le poète était heureux et fier de les mener au café Procope, et là, il jouissait de leur savoir-faire plus que du succès de ses tragédies. Cette ménagerie répandait nécessairement des odeurs peu Agréables ; pour les dissiper, Crébillon fumait beaucoup de tabac, ce qui ne faisait que rendre sa chambre plus inabordable.

 

Au nombre des singularités de cet homme, on doit compter sa prodigieuse mémoire ; il n’écrivait point ses vers à mesure qu’il les composait ; il faisait de tête la pièce entière avec ses actes, ses scènes, ses variantes, et ne la confiait au papier qu’au moment de la faire représenter. Nous avons trouvé un exemple pareil dans Corneille.

 

 

[D’après Daniel Bonnefon. Les écrivains célèbres de la France, ou Histoire de la littérature française depuis l'origine de la langue jusqu'au XIXe siècle (7e éd.), 1895, Paris, Librairie Fischbacher.]

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2 commentaires

Bonjour, il doit y avoir une faute de frappe dans l'année de naissance. Vous notez "Biographie de Crébillon (1674-1762)" Puis
"Prosper de Crébillon, dit Crébillon père, naquit à Dijon, en 1694."
L'académie française note "
Né à Dijon, le 15 février 1674." sur la page le concernant.
Cordialement
François de Dijon

anonymous

C'était une faute de frappe désormais corrigée. merci de votre vigilance.