Biographies d'écrivains de tous temps et de tous pays.

Alexandre Zahnbrecher, l'aventure émerveillée

Grand amateur d’art chargé de missions culturelles et éminent auditeur du Collège de Pataphysique, Alexandre Zahnbrecher sait que le monde n’est pas seulement peuplé de « gens » mais aussi d’histoires à relier entre elles. La preuve par Le Jocond et portrait de l’artiste à l’occasion de la parution de son premier roman dédié à un « art moderne d’aimer » (Dom éditions)…

 

Enfant de Strasbourg, Alexandre Zahnbrecher se souvient parfaitement du lavoir (d’r Waschbritsch) du Pont du Corbeau nimbé de la grâce embrumée des fifties, dans un rêveur entrelacs d’eau, de pierre et de vies passantes…  Ce n’est pas étonnant : ses arrières-grands parents tenaient ce modeste établissement dans l’intérêt général bien compris des heureux habitants de ce bonheur de ville pas tout à fait révolu…

En 1959, son père l’emmène écouter le général de Gaulle à l’Aubette : « Il avait été FFI à 16 ans, deux fois Croix de Guerre et Pierre Pfimlin l’avait sollicité cette année-là pour rejoindre sa liste… ». Sa mère était l’arrière-petite-nièce de Camille Hechinger, l’un des fondateurs de Radio Strasbourg avec Martin Alheillig et Jean-Paul Gunsett.

Pendant sa scolarité, le jeune Alexandre manifeste d’heureuses dispositions pour la prestidigitation et se produit dans des soirées de gala, dans les maisons de retraite ainsi qu’aux fêtes de Noël à la salle de la Bourse et au Palais des Fêtes. Alors qu’il a quatorze ans, le journaliste Jean Lozi fait au jeune magicien prodige les honneurs d’un portrait bienveillant dans les Dernières Nouvelles d’Alsace. Mais c’est un tout autre art qui le requiert désormais, en une toute autre haute saison de sa vie – mais ne s’agit-il pas, avant tout, de féconder tous les possibles ?

 

L’art et la manière, les mots et les choses…

 

En 1968, à la faveur d’une exposition au Musée d’Art moderne à Paris, il découvre Marcel Duchamp (1887-1968), l’inventeur de l’art conceptuel devenu malgré lui une institution : « Ce fut tout à la fois un choc et une révélation. Mes parents, grands amateurs d’art, fréquentaient assidûment  les artistes : des Alsaciens illustres se sont penchés sur mon berceau comme Camille Hirtz, André Bricka, « Fred » Tinsel ou Roger Mühl qui a fait le portrait de papa. J’accompagnais mes parents et ce cénacle à leur stammtisch du Kammerzell – le restaurateur de l’époque, M. Hollinger, avait offert le champagne à l’occasion du mariage de mes parents en 1949. Je jouais aussi aux échecs avec Maxime Alexandre. Mais, avec Duchamp, je découvre que l’art, ça pouvait aussi être ça ! ».

Après des études de droit, Alexandre Zahnbrecher intègre l’entreprise familiale de démolition de voitures : « J’ai vécu la mutation qui a mené de la voiture ancienne à un produit de grande consommation, avec l’incursion de la mécanique américaine et l’avènement d’une véritable société industrielle. On voyait les gens modestes évoluer du vélo à la mobylette et à la voiture d’occasion. Comme un rite de passage...".

En 1978, il ouvre à Strasbourg la Galerie de la Verrière et s’implique dans la défense de l’art contemporain : il est notamment l’un des fondateurs de Sélest’Art (1984) avec le maire François Kretz (1944-1987) et l’un des artisans du CEEAC (1987) avec Robert Grossmann.

En 1983, il est élu au conseil municipal sur la liste de Marcel Rudloff (1923-1996) et s’occupe de son domaine de prédilection : « Germain Muller me confie les clés de la Laiterie, qui est alors un lieu en déshérence – appelé à renaître en centre culturel incontournable. Pour le bimillénaire de Strasbourg, en 1988, j’y organise des manifestations « off » (concerts, expositions, spectacles) ce qui fera dire à Marcel Rudloff : « Maintenant, je sais ce que c’est qu’une manifestation « off » : c’est une manifestation organisée par Zahnbrecher ! »…

Vice-président de la Chambre syndicale nationale du Commerce et de la Réparation automobile qui regroupe pas moins de 40 000 entreprises, Alexandre Zahnbrecher participe à la mise en place du contrôle technique automobile (1985) et au passage de la semaine de travail à 39 h.

Surtout, l’ancien prestidigitateur découvre une autre magie : « Je faisais partie de la Commission linguistique : c’était une véritable fabrique de mots. Car enfin, pour nommer les choses nouvelles, il fallait bien chercher les mots à cet effet.»…

C’est ainsi qu’Alexandre Zahnbrecher « invente » le terme « monospace » pour désigner un « véhicule sans emplacement spécifique pour le coffre et le moteur » - des silhouettes désormais familières sur nos routes et dans nos villes qui ont nom Renault Espace, Citroën Picasso et bien d’autres…

 

Tisser des histoires…

 

En 1995, il visite la Palestine à l’occasion d’une croisière organisée par l’hebdomadaire La Vie : « C’était une croisière placée sous le signe de la conciliation. Nous devions rencontrer Shimon Pérès le matin et Yasser Arafat l’après-midi. Nous avons été rejoints par l’abbé Pierre qui a fait un discours vibrant. Nous avons abordé cette conciliation par son angle culturel et proposé de faire inviter Bethleem à « Strasbourg, capitale de Noël ». Pour cela, nous avons proposé de faire se rencontrer trois choses fondamentales que j’avais la naïveté de penser  pouvoir maîtriser : l’animation, l’art et l’écriture. A Gaza, il n’y avait plus que deux tapissiers à travailler sur le métier de leur père. Ils réalisent des tapis à rayures d’1,20m de large (la largeur qu’un homme peut occuper en travaillant assis devant son métier) et de 2m de long (la taille d’un homme couché). En 1999, c’était chose faite : Jamal al Zawaf (« le chameau laineux »), qui travaille sans mètre ses tapis, est invité à Strasbourg et, privilège, tisse au pied de la cathédrale... Avec le plasticien Germain Roesz, nous avons fait créer par 15 artistes des tapis de Gaza avec un cahier des charges rigoureux, dans le respect de la taille, de la forme et des couleurs. Ils ont été exposés à l’Institut du Monde arabe, à l’Aubette et au Palais Rohan - ainsi valorisés, ils ont relancé la production locale. ».

Alexandre Zahnbrecher imagine également place de la gare  à Strasbourg « Le Chemin des 40 piliers » jalonné de sculptures en pierre blanche – elles sont désormais implantées à Bethleem jusqu’à la Place de la Nativité. En recueillant d’humbles vanneries, il propose la création d’un Ecomusée des Arts et Traditions populaires : « Nous avons vu des gens jeter leurs vieux paniers pour acheter des cuvettes en plastique. Alors, nous avons collecté autour de Naplouse ces paniers de vannerie pour les exposer… De quoi est faite la Palestine, si ce n’est peut-être de ces vanneries et tressages, de cette paille, de ce bois d’olivier et de ces joncs ? ».

C’est ainsi qu’Alexandre Zahnbrecher réalise un catalogue raisonné (1999) pour « rendre intouchable » une collection patiemment réunie de 58 pièces et arrive à l’écriture – la plus fraternelle possible, car il ne sait que trop que le monde n’est pas seulement peuplé de « gens » mais aussi d’histoires, souvent douloureuses, comme il sait que bien des chantiers de la fraternité demeurent infiniment ouverts pour tisser encore et toujours, inlassablement, ces histoires entre elles...

 

Lignes de force jusqu’à la nuit du papillon

 

En 2000, année de jubilation et de célébration pour les catholiques du monde entier, Alexandre Zahnbrecher est commissaire de l’exposition collective de Je Suis organisée par l’évêque à la Cathédrale de Strasbourg – 29 peintures y confrontent l’art au sacré en faisant mémoire du visage de Jésus...

Par l’écriture, il déroule d’autres interrogations et d’autres motifs appelés à devenir lignes de force : « Je connaissais les photographes Pierre Molinier (1900-1976) et Henri Maccheroni. Ce dernier est l’un des grands libérateurs du regard et le photographe majuscule du plus intime de la femme. Il avait réalisé, dit-on, 2000 photos de sexes de femmes. En fait, il y en avait 15 000… J’en suis devenu le compilateur et j’ai entrepris un travail de classification en deux catalogues.

Bourgeade l'avait incité à rencontrer Molinier ce qu’il a fait le 8 août 1973 avec son épouse Janine. Mais ils ne se sont pas compris. L’écrivain Pierre Bourgeade a consigné cette non-rencontre dans Le mystère Molinier (éditions Voix Richard Meier, 2005) et Maccheroni dans Un après-midi chez Pierre Molinier (Opales/Peine Page 2005).

« A mon tour j’ai publié Une après-midi chez Henri Maccheroni (Les Lieux-Dits, 2012), où, ˝muet, je côtoyais ce mystère : la création d'une œuvre",  prolongé par Du Féminaire (Les Lieux-Dits, 2013), qui couvre le champ linguistique de la féminie… ».

Dans le sillage de Henri Maccheroni, il n’en finit pas d’interroger la figure mythologique de Lilith, la femme originelle (Lilith_Femme de basalte, Lieux-Dits, 2013), avec les photos de Sebastien Baumgartner et la verbale complicité de Gilbert Lascault,  jusqu’en cet espace, le plus singulier possible, où nudité animale et langue culturelle se touchent sans (évidemment…) s’assembler…

Car au commencement d’une vie d’homme demeuré à l’écoute du bruissement germinatif, il y a la mère – ou le mal de mère, selon les hommes ou leur sens de l’écoute d’une abyssale vérité... Alexandre Zahnbrecher a redécouvert la sienne après le décès de son père (1999) jusqu’à cette nuit du 24 août 2011 où résonne l’annonce téléphonée de l’éclosion d’un papillon espiègle. Elle lui disait : « Après, je serais serai un papillon, c’est si beau, un papillon ! ». Elle a fini par le devenir, le laissant à son tour tout au bord d’une promesse d’envol désormais portée par une fervente fidélité à l’écriture et au merveilleux : le récit de cette métamorphose (et de la bascule d’un fils) a pris volume dans Objectif : Papillon (Lieux-Dits), un ouvrage aussitôt distingué par le Grand Prix 2011 de la Ville de Colmar et annonciateur d’une multiplication d’autres aventures du verbe chaviré, entre promesses de durée inassouvie, griseries de subjuguantes errances et vertiges partagés... Les voilà actualisés en nouveau volume fort « jocond » - l’adjectif désigne un acte a priori iconoclaste… Comment tenter d’écrire l’illimité en son inassouvissement sur cette ligne de crête où perpétuellement se rapprochent origine et présent, pensée et impensable, confins et seuils incendiés d’insoutenable? A chacun sa part d’ombre et de lumière – et sa façon de s’éclairer en jetant ses mots après sa vie…

 

Alexandre Zahnbrecher, Le Jocond, Dom éditions, 308 p., 14 €

 

Première version parue dans les Affiches-Moniteur

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