Elémentaire, mon cher Conan!

Sir Arthur Conan Doyle, dont on fêta le cent cinquantième anniversaire de la naissance en 2009, n’est pas seulement le fondateur de la littérature policière moderne (qu’Edgar Allan Poe nous pardonne cette phrase !), tout comme il n’est pas uniquement le créateur d’une des figures les plus célèbres et les plus réussies de l’histoire littéraire, le détective Sherlock Holmes sis au 221b Baker Street, à Londres.

Le livre de Peter Costello, une somme d’une grande intégrité d’analyse et de documentation, dresse une biographie orientée de Conan Doyle ; en effet, ce dernier a mis sa grande intelligence et son remarquable esprit de déduction – bien que le terme d’induction fût plus conforme à la technique de Holmes – au service de certaines des plus célèbres causes judiciaires de son temps.

C’est à un voyage extraordinaire dans les ères victoriennes et édouardiennes auquel le lecteur se voit convié : les chapitres égrènent tranquillement, dans un style classiquement biographique, la vie de l’auteur, en s’arrêtant sur ses idiosyncrasies, ses obsessions, son caractère unique, ses aventures dans la vie réelle, dont la ressemblance avec celle de ses héros (Holmes, le professeur Challenger du Monde perdu) surprendra plus d’un lecteur, quand bien même l’abondance d’ouvrages traitant de la vie du géniteur de Holmes a su tirer parti de toutes les anecdotes. Parce que l’auteur de cette monographie accomplit un parcours fascinant, étrange, haletant, parsemé d’affaires criminelles donnant leur titre aux chapitres, dans le style de ceux des nouvelles policières.

On apprend ainsi que passé sa première carrière de docteur, et en même temps qu’il débute celle d’écrivain, Doyle devient un véritable limier, un « détective consultant » ou « détective conseil », comme son héros. L’Empire britannique, et puis le monde, l’assaillent de courriers, de requêtes, notamment en raison d’un trait de caractère exceptionnel qui se trouve en lui : sa droiture – sa tombe indique « Vrai comme l’acier/Droit comme une lame » – et sa visionnaire conscience des erreurs judiciaires : l’affaire Edalji, l’affaire Slater, en sont deux exemples.

Le premier, d’origine indienne, accusé de mutilations de bétail, et poursuivi sa vie durant par la calomnie, le deuxième, proxénète et trafiquant véreux, malgré tout accusé injustement de meurtre. On est étonné de la virulence et de l’importance de ces affaires en leur temps. Et le lecteur ne sera pas en reste : tueurs en série, comme « le Barbe Bleue du bain », qui achète des baignoires pour y assassiner ses épouses peu de temps après le mariage, ou encore ces intrigues américaines, sources d’inspirations pour les romans de Holmes, Une Étude en rouge, La Vallée de la peur, sans parler de ces crimes sur fond de légendes et de mystère en Australie, en Afrique du Sud, jusqu’à la disparition soi-disant inexpliquée d’Agatha Christie, dont le duo Poirot/Hastings s’inspira du modèle holmesien. Mais jetons le voile sur toutes ces affaires, le lecteur serait déçu d’être mis au courant des solutions !

Qu’on ne s’y trompe pas, la personnalité complexe de Doyle ajoute à ces évocations, à ces chroniques qui se déroulent à la vitesse du meurtre, au rythme de la lâcheté humaine, de la bêtise des enquêteurs bornés et des préjugés assénés dans les tribunaux : Doyle, dont les techniques attestaient de sa clairvoyance, qu’elles fussent décrites dans la fiction ou qu’elles s’appliquassent dans la résolution des enquêtes qu’il résout (on sera stupéfié parfois de la perspicacité de Doyle, notamment dans les affaires de rapt), a mené une vie mouvementée, dans les tourments qu’apporte la lutte contre le manque de jugement, mais qui procure à l’homme une stature héroïque, une moralité à l’épreuve de la bassesse, une persévérance exemplaire triomphant des idées reçues de Doyle lui-même, et un courage qui ne s’est jamais démenti, que ce soit pour défendre les petits, comme les grands (l’Affaire des joyaux irlandais, mettant en cause des personnalités, en est un exemple). Il s’intéressa même de très près à l’affaire Sanco et Vanzetti, allant jusqu’à déceler dans un indice oublié une preuve de l’innocence de Vanzetti.

Doyle, de conférences en voyages, a connu des personnages hauts en couleurs : son chauffeur, par exemple, qui n’était autre que le célébrissime Jules Bonnot, l’anarchiste français, ou encore le fils du créateur de l’Agence Pinkerton, ainsi que tous ces magistrats, médecins légistes, descendants de lignées illustres – comme Doyle lui-même – et surtout ce club anglais, appelé « Our Society », ou encore le « Crimes Club », nimbé d’une aura de mystère digne d’un roman noir, sorte de congrégation réunissant des noms illustres de la criminologie, disposant d’archives encore secrètes à ce jour, et examinant les épisodes les plus intrigants dans les annales du crime. Dans l’imagination collective, qui n’a pas rêvé de Holmes contre Jack l’Éventreur ? Voilà que le mystère de Jack fut examiné par ce club ; Doyle et ses compagnons se livrant à la reconstitution macabre du parcours présumé du tueur, accumulant preuves supposées et indices, scènes inouïes et pourtant véritables !

La fin de l’ouvrage aborde sans la cacher la tendance de Doyle dans ses dernières années à privilégier le spiritisme et les médiums au détriment de ses méthodes pourtant très en avance sur son temps, augurant de ce que l’on nomme aujourd’hui la police scientifique. Mais malgré le vif désir de Doyle de trouver une validité dans la communication avec les esprits, il est évident que la passion de la criminologie n’a jamais vraiment quitté l’auteur, malgré la perte du tranchant de ses qualités d’observation.

Cet ouvrage sur Doyle nous entraîne dans un tourbillon captivant où le lecteur se trouve confronté à cette étrange familiarité que procure la fréquentation de faits à la frontière du sordide, et qui abordent la peur la plus ancienne de l’humanité, s’il faut en croire l’écrivain américain Lovecraft, celle de l’inconnu ; cet inconnu, c’est le meurtrier, le coupable qui se cache dans la conscience de chaque être humain, et qui, soyons-en rassurés, ne fait au pire qu’affleurer brièvement à la surface de la pensée. Et cette familiarité se confirme dans le morbide intérêt que nous portons aux choses du crime. L’encart iconographique ajoute à la qualité du livre, sans parler de sa bibliographie imposante, qui atteste de l’honnêteté de la démarche, sans pour autant supprimer la grande originalité et la fluidité d’écriture de cette étude.

On lira ce livre comme un recueil inédit d’enquêtes de Holmes, revenu de ses activités d’apiculteur. Le plaisir qu’on en retirera ne sera pas seulement dû à la diversité et à l’abondance des cas traités : il proviendra de la réalité contenue dans ces récits, qui débouchent souvent sur la déception d’un combat mené pour rien, ou d’une investigation sans réponse, mais qui dressent le portrait inédit d’un homme d’exception.

Romain Estorc


Peter Costello, Conan Doyle détective, Editions du Rocher, Documents, novembre 2008, 22 euros.

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