Jean Yanne l'iconoclaste

J’ai toujours nourri une vive admiration pour Jean Yanne. Du temps où j’écoutais Les Grosses Têtes sur RTL, il me faisait éclater de rire par ses improvisations, sa façon d’inventer des situations loufoques, son vocabulaire, sa mauvaise foi. J’ai toujours dans l’oreille sa diatribe contre un certain Christian Bonnet, ministre de l’Intérieur. Rien qu’à l’énoncé du patronyme, Yanne partit en vrille et ne s’arrêta plus. Du pur et du beau délire. Et les habitants de Montluçon se souviennent forcément de la façon dont il décrivit leur ville… Je suis un peu moins enthousiaste concernant les films réalisés par Yanne. Un gouffre sépare Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil de Chobizenesse. Je pense que Jean Yanne aurait beaucoup gagné, dans tous les sens du terme, à mieux contrôler ses débordements comiques. Mais il lui aurait fallu faire des concessions, ce qui n’était pas son genre.


Homme de radio, de télévision, de cinéma, de livres (n’oublions pas ses bandes dessinées !) et de projets délirants, Jean Yanne a suivi un parcours peu banal et n’accepta un relatif rythme de croisière que sur la derrière partie de sa vie, contraint et forcé à n’être plus qu’un acteur. Mais quel acteur !


Il existe peu de livres qui retrace tout ou partie de sa foisonnante existence. Tous écrits par des proches. L’un par son ami Gilles Durieux (Ni dieu, ni maître [même nageur] – Le Cherche Midi 2005) les autres par deux de ses maîtresses, Nicole Calfan (Toi l’ours, moi la poupée – Michel Lafon 2004) et Christianne Fugger von Babenhausen (Jean Yanne mon amour… - Favre 2006). L’imposante biographie de Bertrand Dicale (Jean Yanne à rebrousse-poil) est différente puisqu’elle émane d’un observateur extérieur qui s’efforce de retracer le voyage d’une vie pas à pas.


Dicale est très documenté. Il sait tout sur tout. Trop documenté, peut-être. A vouloir bien faire, à expliquer qui est qui (chaque personne croisée a droit à sa mini-biographie), il noie le lecteur sous un flot d’informations quitte à en oublie Jean Yanne. Des tornades de chiffres (privilégiant les entrées parisiennes aux entrées nationales) finissent par donner le tournis. De plus l’auteur n’applique pas la même rigueur à la sélection de ses sources qu’à leur utilisation. D’où des fautes d’inattention : le chanteur Jean Constantin à la place de l’acteur Michel Constantin, le pseudo-psy Gérard Miller remplaçant le réalisateur Claude Miller. Il classe Tendre Voyou parmi les films de gangsters pour rire, ce qu’il n’est pas, et Il était une fois en Amérique parmi les westerns-spaghetti, ce qu’il n’est pas non plus. De plus, Alain Delon ne s’est pas lancé dans la production en 1968 avec La Motocyclette mais en 1964 avec L’insoumis. Etc.


Toutes ces (petites) erreurs ne suffisent pas à gâcher le plaisir. Et quand Bertrand Dicale est inspiré, il restitue avec bonheur. Ainsi, entre autres, l’aventure en forme de collision de Nous ne vieillirons pas ensemble et les faillites des diverses maison de production de Yanne.


Car cet acteur-auteur-réalisateur-producteur-animateur n’a cessé de connaitre des hauts et des bas : des audiences records à la radio ou à la télévision pour être remercié quelques semaines plus tard, des énormes succès au cinéma contrebalancés par de douloureux bides. Jean Yanne n’a jamais rien pu faire comme tout le monde. A peine en haut, il retombait, une fois en bas, il rebondissait.


Tout cela se retrouve dans cette biographie et rend le personnage encore plus attachant. Comme dans un spectacle de guignol, on a presque envie de crier « Non ! Ne fais pas ça ! » et on le voit foncer droit dans le mur à force de démesures et d’absence de contrôle. Oui, Jean Yanne méritait mieux. Mieux que l’espèce de condescendance, teintée de méfiance, dont il fut trop souvent l’objet. Ses recueils de bons mots rappellent la puissance de son humour. Il aurait pu, et dû, s’imposer comme l’un des piliers du nouveau comique, à l’instar d’un Bertrand Blier. Mais Yanne avait des tendances suicidaires qui l’empêchèrent de régner. Sa volonté de choquer provoqua à la fois son succès et ses tourments.


« Jean Yanne prend tous et chacun à rebrousse-poil, un jour ou l’autre, écrit Dicale. C’est ce qui fait sa gloire et c’est ce qui l’a rongé pendant des années : ne prendre les idées et ne prendre les hommes ni par leur pente naturelle, ni par la pente inverse. Cet homme n’aime ni les conservateurs ni les contestataires, n’aime ni la tradition, ni la révolution, n’aime ni la bienséance, ni le vacarme. »


Ce livre permet de le retrouver et, forcément, de le regretter.

Pour terminer, une saillie du maître qui devrait figurer au bac de philo : « Le monde est peuplé d’imbéciles qui se battent contre des demeurés pour sauvegarder une société absurde. »

 

Philippe Durant 


Bertrand Dicale, Jean Yanne à rebrousse-poil, First, "Document", octobre 2012, 510 pages, 21,90€

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1 commentaire

A toutes mes femmes, j'ai posé la question qu'un jean yanne goguenard pose à sa secrétaire dans un de ses films: "êtes vous marié à un marin grec ou à un pilote de ligne?" une seule a su me répondre. Bonne critique en tout cas sur un personnage important, un ours plein de cet humour grinçant, cinglant et mordant. Je suis un orphelin de Jean Yanne