Norge, pas à pas

Une chanson bonne à mâcher, vie et œuvre de Norge pourrait tout aussi bien s’intituler ainsi, il me semble, tant son auteur, Daniel Laroche, fait de sa biographie un poste d’observation, de réflexion et d’interprétation, des plus efficaces avec, à mesure, vue imprenable sur le déroulement de la vie en même temps que, pas à pas justement, sur le cheminement de l'artiste en son œuvre jusqu'au point final.
Sans, à aucun moment, nous embarquer dans de vastes et/ou fastidieuses embardées capricieuses – ce qui est un écueil fréquent en le genre –, le biographe a, de plus, le bon sens et l'opportune présence d'esprit d'assez souvent céder la parole ; faisant en effet ainsi la part belle aux propos tenus en privé, citations rares, interviews, confidences, lettres ; quasi tous documents de première main en lesquels, fidèle à lui-même et à son œuvre, Norge ne se départit pas, en rien, l'on s'en doute, de ses heureuses trouvailles et inventions poético-langagières qui le distinguent en maestro : Nous passons ici des jours mimosés mais très actifs, car il faut s’éparpiller encore en mille démarches et farfouinements ; poursuivant, par exemple, dans une autre lettre à Jean et Lucienne Mogin-Desnoues, son fils et sa bru : L’installation au Mas Amadou n’a pas été sans peine. Les anciens proprios ne voulaient pas déloger. Il a fallu les extraire presque avec une fourchette à escargots.
Direct et délicieux, ce genre de matériaux ne familiarise-t-il pas bien plus et beaucoup mieux avec Norge que tout docte commentaire, professoral ou autre, à propos de tel ou tel de ses recueils ? Pas étonnant ici puisque : Sensuel et sensoriel – ne faudrait-il pas cependant ajouter fantastique ou encore baroque ? –, c’est ainsi que l’auteur aborde et caractérise avant tout son sujet en proie à ses divers registres d’inspiration ; sujet sur lequel, soit dit en passant, guerres, crises et événements, glissent en parfait silence sur sa page (sans même lui frôler un tant soit peu l’esprit ou l'oreille au passage) comme l’eau sur les plumes d’un canard. Norge est ailleurs, assidûment.

Quant à la question d'un dieu, de Dieu lui-même, le voilà davantage attentif, sensible et accueillant au sacré, comme à un certain surnaturel, qu’en appétit de tout ce qui découle ou dérive – trop humainement – du religieux, occidental ou pas.
Si tu veux de la bonne eau,va à la source, dit-on enseigne la vie. En foi de quoi, il s'y dirige en la sienne. Mais en définitive, avant que de "partir", y sera-t-il arrivé ? Stupéfait in extremis ? Nul ne peut le dire, l'affirmer ; Dieu seul le sait, sans doute, à cette heure.

Alors, je vous ai bien eus
Avec mes petites rimes !

Vous avez cru voir tout nu
Mon cœur ! C’était de la frime.

Blagueur, farceur, mythomane, Norge ? Ou alors tout aussi bien un peu bateleur sur les bords, passant facilement du coq à l'âme ?
En tout cas, bien évidemment pas autant qu’il en joue sans remord selon toute apparence, grand poète d'abord ! Autre d'entre les autres, au cocasse et à la gravité – parfois en subtil mélange détonant – tous deux bien caractéristiques d'un certain esprit, au fond, toujours très volontiers malicieusement ou gravement iconoclaste.

Quoi qu’il en soit, multiple chacune, et singulière, la vie et l’œuvre gagnent justement, assurément, à être connues, approfondies, goûtées et savourées, à la chaleur et à la lumière des cinq chapitres bien tassés qui composent cette rare biographie-inventaire.
 

André Lombard

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En préfaçant Marie Gevers.
Jean Mogin, une note manuscrite.

Daniel Laroche, Une chanson bonne à mâcher, vie et œuvre de Norge, Presses universitaires de Louvain, 2019, 260 p.-, 21,50 €

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