Un poète dans son temps : une biographie de Pasternak qui laisse le lecteur sur sa faim

Michel Aucouturier est sans doute le meilleur spécialiste français de Pasternak, et l’on pouvait attendre de sa part une biographie qui serait le sommet de ses travaux consacrés au poète. Malheureusement, l’ouvrage m’a laissé sur ma faim, sur tous les plans ou presque.  Son principal atout, c’est d’être étayé, pour chaque étape de la vie d’adulte de Pasternak, par des extraits de sa correspondance, dont la plupart fournissent au lecteur des aperçus instructifs de son état d’esprit, et cèlent par endroits des surprises de taille, comme ce rapprochement entre le nazisme et le communisme, fait en 1933 : « Ce sont des mouvements qui font la paire, de même niveau, l’un est appelé par l’autre, et tout cela est d’autant plus triste. Ce sont les ailes, droite et gauche, de la même nuit matérialiste ». On n’aurait pas imaginé Pasternak aussi lucide, pendant une période où il faisait des efforts pour complaire au régime, efforts sincères, à en croire d’autres lettres, dont celle, citée à la page suivante, où il se dit « un homme terriblement soviétique ». Et c’est là que le bât blesse : Michel Aucouturier nous révèle, chez le personnage, des contradictions fascinantes qu’il n’arrive jamais à expliquer de façon convaincante. On en éprouve une frustration toujours renouvelée, à la lecture de maints chapitres qui engendrent des questions vouées à rester sans réponse.

      Le lecteur se demande, par exemple, pourquoi Pasternak dont le père et les sœurs avaient émigré, n’a jamais envisagé ou saisi l’occasion de quitter l’URSS (concrètement parlant, il a eu au moins deux fois la possibilité de le faire) : était-ce parce qu’il avait charge de famille ? parce qu’il se sentait incapable de vivre et d’écrire à l’étranger ? Pour Aucouturier, ces questions ne semblent pas se poser, alors même qu’il relate les voyages de Pasternak et les problèmes – pratiques, moraux et psychiques (la dépression) – engendrés par sa vie en URSS. De même, lorsqu’il cite une lettre à Staline, où se lit entre les lignes un mélange de servilité et de ruse, il la commente d’une manière qui revient à dire simplement que pour Pasternak, Staline « reste un interlocuteur direct et une personne vivante » ! En somme, à part les chapitres consacrés à l’enfance et à l’adolescence, et ceux concernant la dernière période de la vie du poète (à partir du scandale lié au Docteur Jivago), l’ouvrage nous donne constamment l’impression d’un manque de réflexion approfondie sur les choix et la vie de Pasternak.

        En revanche, la biographie comporte des redites d’autant plus agaçantes à côté de ses lacunes : pourquoi nous informer deux fois, presque dans les mêmes termes, de la pénurie de logements qui sévissait à Moscou ? Pourquoi faire deux fois la même citation de Pasternak ? Pourquoi revenir, chaque fois qu’il est question de l’écriture du poète, sur la métonymie, comme s’il suffisait de nommer un procédé pour rendre compte de toute l’originalité de son style ?

    La lecture achevée, on reste sur l’impression d’un travail bâclé, peut-être par hâte, et peut-être aussi parce que Michel Aucouturier a préféré s’en tenir aux commentaires propres à rendre Pasternak sympathique, plutôt que de chercher à voir plus clair dans le personnage et de nous le représenter dans toute sa complexité. C’est bien regrettable.

 

Michel Aucouturier, Un poète dans son temps : Boris Pasternak

éd. des Syrtes, 3 septembre 2015, 408 pages, 23 euros
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