Djibouti, long & douloureux chaos

Au-delà du jeu des normes, Pierre Deram casse l’image d’Epinal de cette carte postale qu’est encore la corne de l’Afrique pour les amoureux de la plongée sous-marine ou des raids dans le désert car… Djibouti n’est rien d’autre qu’une infâme ville souillée où traînent hères et fantômes en quête d’une âme à voler pour redonner vie à leur corps dépourvu de tout.
Car ce n’est pas seulement d’eau que cette terre oubliée manque, mais aussi de désir d’ailleurs, de fleurs et d’essence de vie ; seule la folie règne en monarque et pas besoin d’un dictateur d’opérette à la solde de l’Occident pour maintenir cet embryon de pays à l’état sauvage. Et comme il ne se passe rien, la trame du roman est tout aussi mince que les faits divers (soldatesque désœuvrée, chien tué par un serpent, prostituée muette qui fait tourner les têtes, etc.) mais elle n’est là que pour le prétexte de la narration car c’est ailleurs que tout se passe. Comme dans un roman de Pierre Moinot, le plaisir de lire surgit des descriptions, de l’ambiance, de la violente beauté, de la déchirure des personnages mais surtout de la musique, de ce style que bien des auteurs (qui ne sont donc en rien des écrivains) oublient systématiquement au bénéfice de l’histoire. Comme si l’on ne pouvait avoir les deux, mon capitaine…
Long et douloureux chaos dans l’impossible attente d’un retour, cette traversée de Djibouti en compagnie du soldat Markus marque l’entrée en scène d’une voix qui devrait compter dans les années futures.
François Xavier
Pierre Deram, Djibouti, Buchet Chastel, coll. « Qui vive », août 2015, 120 p. – 11,00 euros
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