Paul Pavlowitch et Romain Gary : les grands incandescents

Tout comme Blaise Cendrars, lui aussi grand aventurier devant l’éternel, Paul Pavlowitch et Romain Gary ont choisi des pseudonymes ou des titres qui rappellent que l’on brûle, non seulement sa vie par les deux bouts, mais aussi qu’on se brûle soi ; qu’on se brûle la cervelle, tel Romain Gary, ou que l‘on brûle pour renaître de ses cendres : Tous Immortels est le titre du magnifique récit que vient de nous donner Paul Pavlowitch.
Lorsqu’il change (encore une fois !) d’identité, Romain Kacew devient en 1951 Romain Gary – ce nom signifie Brûle ! en russe, au mode impératif, puis Émile Ajar en 1972 – ce qui veut dire, en russe : braise.
Il n’y a pas, dans cet immense récit, que Romain Gary qui brûle : il y a également, ou mieux ? brûlant plus fort ? Jean Seberg. Icône des femmes des années 70-80, défenseure des Noirs, éprise de justice, Jean Seberg est d’abord une adolescente perdue, extraite de son Iowa natal par Otto Preminger, le tycoon ou tyran qui lui donne son premier grand rôle dans Jeanne d’Arc. Attachée au bûcher, Jeanne devait brûler ; Jean aussi ! Elle raconte plus tard à Paul Pavlowitch que Preminger a failli la laisser plus morte que vive : Nous n’avions jamais évoqué cet instant. Anna [fille de Paul Pavlowitch] enlacée par sa mère écoutait, bouche bée, immobile, une main sur la bouche, prise de stupeur. Jean brûlée ! […] Nous avons fait une dernière promenade. Au retour, Anna lui donnait la main. Tout était devenu silencieux, dans la forêt. Plus un oiseau, plus un froissement des feuillages. Seule la lumière nous suivait entre les arbres. Nous marchions dans ce silence sur les étroits sentiers à brebis qui contournent rochers et petits chênes. On ne déflorera pas ici la suite merveilleuse de cette anecdote (page 191) qui à elle seule vous contraindra à lire ce livre.
Devant l’insistance de Paul Pavlowitch à évoquer la grande figure de Romain Gary – alors qu’il a 18 ans, son Maître en a 42 ­– on se prend à rêver de ce qu’aurait pu être la vie de Paul racontée par Romain : le plus grand écrivain des deux n’est pas toujours celui qu’on pense… Car Tous Immortels nous plonge dans le tourbillon de la Seconde Guerre mondiale, de l’héroïsme des Compagnons, des souvenirs atroces de la Shoah qui collent à la peau, de l’hystérie raciste aux États-"Unis", des intrigues de basse-cour parmi les diplomates français dont longtemps Gary fit partie, de Malraux qui téléphone tandis que Romain drague Sophia Loren… Paul Pavlowitch est, tout au long de ses aveux, un très grand conteur, dont le livre ne saurait être commencé vers 22 heures : vous vous retrouveriez alors vers 4 heures du matin en train de vous demander ce que va faire De Gaulle, ou ce qu’a bien pu dire François Truffaut avant de placer, dans Fahrenheit 451, une photographie de Jean Seberg sur une pile de livres enflammés.
Ça brûle encore… – Vous avez vu les brûlures sur ses bras ? dira un jour Sterling Hayden. On en apprendra d’autres si l’on veut bien relire les fameux Croquis d’une vie de bohème, de Lesley Blanch, la première épouse du Maître (La Table Ronde, 2018).
Revenons à Gary : ce qui l’unit à Paul Pavlowitch, ce n’est pas seulement une histoire familiale complexe, et l’héroïsme, et ce rôle d’ombre tutélaire… Il y a aussi le mépris des critiques – dans les deux sens (charge puissante contre les petits maîtres à penser page 308, Jean-Sol Partre démoli juste comme il faut) – et l’envie de liberté, qui pousse à toujours aller plus loin, à s’affranchir de tout, même s’il faut que Paul devienne Nègre d’édition chez Gallimard ou autres… 
Ce beau livre est une immense fresque, un recueil de souvenirs et d’anecdotes croustillantes, mais surtout une remarquable leçon de liberté.

Bertrand du Chambon 

Paul Pavlowitch, Tous Immortels, Buchet-Chastel, février 2023, 479 p.-, 23,50 €

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