La chronique de l'écrivain et poète Claude-Henri Rocquet.

Chronique. Lecture de Rimbaud. Après le déluge (II)


Çà & là, la chronique de Claude-Henri Rocquet | 


Revenons au poème, congédions les souvenirs d’enfance.


Ces capitales du premier mot, AUSSITÔT, ces capitales initiales, disposition typographique unique dans le recueil, ne sont pas conformes au manuscrit ; je lis cette page dans le Pléiade de 1951. Dans les éditions suivantes, et chez d’autres éditeurs, le premier mot n’est pas en capitales. Il l’est cependant ailleurs.

Existe-t-il un terme de métier qui désigne ce mot initial que l’on compose, ou que l’on composait, en capitales ?

Ici, ces capitales, inauthentiques, peuvent donner le sentiment que s’ouvre un livre saint, sacré, liturgique ; au lecteur lisant à voix haute, en public, elles seraient l’indication d’un ton : solennel, majeur. Ces trois syllabes, la force phonique des voyelles, le sifflement de l’S et la nette carrure du T, c’est bien la marque d’un début, un introït, une captation de l’attention, une banderole en tête de cortège, un drapeau, une bannière : comparez avec ce qu’aurait produit un « Dès que » : mollesse, description, narration banale. Ce début, cet incipit, est un coup d’archet, admirable. – Et cet accent circonflexe, qui rend plus flûté le « fut » ? La grammaire impose-t-elle ici le subjonctif ? Je ne le crois pas. Je m’appuie sur Grevisse. Mais si le manuscrit coiffe l’u d’un chapeau circonflexe, est-ce lapsus, faute d’orthographe, est-ce intentionnel ? Grâce à lui, au subjonctif, dès la première phrase, le lecteur est entré dans une région mentale où l’irréel, le possible, l’emporte, l’emporterait, sur le réel, l’accompli. C’est peut-être ce que Rimbaud avait à l’esprit en employant, pour le verbe être, ce « subjonctif ».


 

Le « déluge » est peut-être plus une « idée » – certains songent ici à Platon, à l’archétype – qu’une réalité. Peut-être le Déluge ne fut-il que rêvé : par Dieu, grand maître des écluses, des citernes et silos de la pluie, des églises ; ou par l’enfant, qui, peut-être, est ce lièvre, ce levraut, ce levrot, ce frérot, qui trace à travers la trame et le vitrail de l’araignée, irisée peut-être par l’arc-en-ciel, et qui sur son cahier d’école dessine et colorie aux crayons de couleur, la gerbe de l’arc-en-ciel, ses voyelles, feu d’artifice en plein jour, en forme de pont, en forme d’arche. Arc au plus haut duquel, entouré des anges, de sa cour céleste, un jour on verra trôner le Christ, nouvel Adam, nouveau Noé, maître du monde, ami des hommes, promesse tenue.

 

Plus remarquable encore, la disposition de cette circonstancielle, en avant-garde, en détachement, en éclaireur, et de ce qui lui succède, massif, serré, comme un vers précède un vers, une virgule les séparant ; mais il ne s’agit pas de vers successifs, il s’agit plutôt de versets : l’aspect du texte, peut-être sa tonalité, est « biblique » ; comme si dans ce poème Rimbaud avait eu le dessein de réécrire une Genèse comme il récrivit quelques pages de l’Évangile, nommées parfois « Proses johanniques ». Rien, dans ces « versets » ne ressemble aux vers de Rimbaud, même les plus affranchis des règles classiques. C’est une « prose » ; aux deux sens du mot. Lorsqu’il parle de la phrase ailée de Rimbaud, de la façon dont elle vole, se suspend, se pose, Claudel aurait pu prendre ces deux paragraphes pour exemple d’une prose qui, chez Rimbaud, est poésie. Claudel, dont un personnage dit : « J’inventais un vers sans mètre ni mesure. »



Rimbaud n’a pas écrit, platement, « Dès que le Déluge eut pris fin », mais : « que l’idée du Déluge se fût rassise ». (Il a ajouté « après que », après « Aussitôt » et l’a biffé ; certains éditeurs rétablissent cette lourdeur.)

Il faut sans doute entendre que s’étant levée, de son siège, de son trône, divin, elle s’est rassise, besogne faite ; elle a orchestré et conduit l’orchestre de la bacchanale des vagues, des pluies, des trombes et des tornades, des raz-de-marée, de mille séismes liquides, clameurs et bonds, convulsions de la mer, et se repose, comme Dieu le septième jour ; après cette Genèse destructrice et recréatrice ; laissant le monde suivre son cours ; indifférente à l’Histoire ; en somme : une autre Sagesse, ouvrière et conseillère de Dieu – acteur nulle part nommé dans le poème, sauf par l’évocation du « sceau de Dieu ». – Mais « rassis » nous fait passer fugitivement dans l’esprit l’idée du « pain rassis », d’idées « rassises » comme du pain rassis, rance, moisi. Corps d’un mot suivi par son ombre.

 

Et nous nous souvenons de ces vers de Rimbaud : « Mangez Les cailloux qu’un pauvre brise, Les vieilles pierres d’église, Les galets, fils des déluges, Pains couchés aux vallées grises ! » Le pain, les pierres, les galets (les galettes), les églises, le déluge, l’arche des ponts et des églises, l’Arche, où le pain, même sec, émietté, rassis, enveloppé de linge dans la huche, le bahut, à la fin se fit rare : il était temps que la colombe revienne, revînt, emperlée de l’eau douce de la rosée, endiamantée d’aiguail, et tenant au bec un brin d’olivier, une verte promesse, l’annonce du rivage proche ; et bientôt : la vigne et le vin, l’ivresse, un « sommeil bien ivre, sur la grève »…

 

*

 

(Mais que signifient ces cailloux, brisés par un pauvre, cantonnier, bagnard, aplanissant la route, les chemins ? Que veut dire cette faim telle qu’elle mordrait à la pierre ? Je pense à la première tentation du Christ au désert : Satan lui suggère de changer en pain la pierraille, de changer le plus dur de la terre en tendresse, nourriture, souffle et sang, vie ; miracle du fils de Dieu, de Dieu lui-même, comme le miracle de la manne, au désert. Le miracle, en réponse à la faim des hommes, qui ne vivent pas seulement de pain, mais de la Parole de Dieu, de toute parole qui sort de la bouche de Dieu, le miracle sera sur la montagne la multiplication du pain, des pains, par monceaux dans les corbeilles.

Je me souviens de ces vers de Corbière pour le Pardon de Sainte-Anne : « Prends pitié de la fille-mère, Du petit au bord du chemin… Si quelqu’un leur jette la pierre, Que la pierre se change en pain ! »…

Il faudrait songer à la meule du moulin et au pain sorti du four, doré par le feu ; à la famine, à l’abondance, au travail, à Adam « paysan ». Il faudrait suivre chez Rimbaud, et depuis les petits enfants dans l’hiver au soupirail de la boulangerie, le thème, le fil, du pain ; du pain et de la pierre, de la pierre et du pain : « Il y a enfin, quand l’on a faim et soif, quelqu’un qui vous chasse. » À coups de pierres. Je ne travaillerai jamais, disait-il ; « Je n’aurai jamais ma main. ». Il a gagné son pain.

Mais de quel pain Rimbaud avait-il faim ? )

 

*

 

Villon : « Considérant, de sens rassis »… Et Montaigne parlant de la poésie, « la bonne, l’excessive, la divine », celle qui « est au-dessus des règles de la raison » : « Quiconque en discerne la beauté d’une vue ferme et rassise, il ne la voit pas, non plus que la splendeur d’un éclair. Elle ne pratique point notre jugement : elle ravit et ravage. » On est surpris de trouver chez Montaigne un tel sens, moderne, de la poésie ; et cette allitération, ravage, ravit ; en même temps que cette danse de la voyelle grave et de la plus aiguë, chanterelle, bourdon. Guitare, masculine et féminine.

 

*

 

Mais « l’idée » du Déluge, plutôt que le Déluge même, cela veut-il dire qu’il n’a pas eu lieu, en réalité, et qu’il ne fut qu’une pensée, une espèce de rêve ou de rêverie, de Dieu ? pour qui l’action est sœur du rêve, si Dieu rêve ; ou, qui sait ? – Dieu le sait : du poète.

La virgule qui sépare, avec l’alinéa, en deux paragraphes, le prélude et le tableau du lièvre et de l’arc-en-ciel, produit une espèce de tremblement, ou de suspens, entre l’incertitude et le certain, le visible et l’invisible ; cela, presque insensiblement. Entre l’idée – une sorte d’arrière-monde, le ciel présent et absent, et l’histoire qui commence ; peut-être simplement : l’Histoire. Dans ce presque rien, ce détail, ce passage entre deux faces d’une feuille, je ne suis pas loin de voir un exemple, d’entendre un la de l’art poétique de Rimbaud ; la note d’un diapason, une certaine note qui serait au bord d’une harmonieuse dissonance – un quart de ton, pour la musique occidentale.

Musique ! ce coup d’archet initial, cet écart entre deux harmonies. Musique du musicien Rimbaud. Celui qui clôt l’un de ses poèmes sur ce soupir, cette plainte, ce désir : « La musique savante manque à notre désir. » Musique du Paradis, musique des anges. Certainement, une étude, peut-être au Japon, a été consacrée à « la musique chez Rimbaud », ses occurrences, sa portée, son sens. – Mais voici la première image, véritable : Un lièvre s’arrêta

 

Un lecteur illustre de Rimbaud – poète, écrivain, penseur, professeur, dont on s’étonne qu’il ne soit pas de l’Académie, prix Nobel, dans la Pléiade entre Jean d’Ormesson et Boris Vian – trouve « mièvre » cette image – « seule image mièvre que Rimbaud ait jamais écrite », dit-il ; donc : ironique, dérisoire. Je ne puis croire que, le mot tirant l’idée, ce sentiment lui soit venu par une espèce de rime à « lièvre ». (Pour moi, « lièvre » fait surgir, appelle, « livre » et « lèvre ». – Elle lui livra ses lèvres, « et ils ne lurent, ce jour-là, le livre plus avant. ») « Mièvre » ? Naïf, plutôt, mais savamment naïf.

 

Et j’aime cette image, enfantine – une illustration de livre d’enfant ; cependant Rimbaud se passe de l’arche, des animaux, de leur cortège, de la passerelle dont on craint qu’elle craque sous les pas du couple d’éléphants (que le jeûne de quarante jours – du moins, la diète, les restrictions, le rationnement, n’ont guère efflanqués), trompe levée, trompe au son et à la forme de buccin ; et tout le monde tombant et pataugeant dans la flaque profonde encore, mi-douce mi salée, entre les bancs de sable, ou la flache. Il ne montre pas Noé à sa lucarne lâcher comme à Venise la colombe regagnant le grenier de l’arche comme son pigeonnier un pigeon voyageur. Presque rien suffit. Nous connaissons l’histoire, le récit, que les peintres ne se sont jamais lassés d’illustrer.

Cette procession de pachydermes et de crocodiles, de girafes, de hérissons et de porcs-épics, de cigales et de fourmis, de vaches et de cochons et de moutons, du loup et de l’agneau, du coq, de la poule et du renard, d’autruches et de zèbres, sans oublier le chien et le chat, l’escargot, lanterne rouge, point final – en somme toute la Création deux par deux comme à l’école, cette ferme modèle et cette ménagerie, ce cirque, cette cohabitation paradisiaque d’animaux sauvages et domestiques, l’exultation et l’exaltation de retrouver les herbes et les arbres, les touffes, les buissons, la terre qui sent déjà si bon, qui fleure bon, oui, cette grande image, ce songe bon enfant, cette comptine interminable, cette délivrance plus belle encore que la mer Rouge faisant une haie d’honneur aux Hébreux, à deux battants ouverts comme des bras ouverts, avant de se rabattre telle un couvercle de bronze, un déluge de lames, sur les chars et les soldats d’Égypte, les chevaux, les archers, cela nous touche et nous enchante peut-être plus encore que les premiers versets de la Genèse, chapitre qui se termine si mal, par la souffrance et la mort, le dur travail, la naissance dans la douleur, l’exil hors du jardin délicieux. La sortie de l’arche est une autre Genèse.

 

Quelle éclosion, quelle naissance, quelle fête, cette vie qui sort de l’œuf de l’arche, ce nouveau monde ; après avoir connu le plus noir de l’enfer, la gueule grand ouverte du néant, et l’avenir qui pouvait se briser sous les marteaux de la mer, la pioche des éclairs, fin du monde. Mais le détail que Rimbaud invente – ce lièvre, est neuf, pris sur le vif, et représente le tout.

 

Un lièvre : l’animal le plus craintif, dit-on ; sans doute a-t-il fui les fusées en zigzag de l’orage, ses tridents, et le grondement des eaux et le gonflement des ruisseaux et du fleuve dans la prairie, le labour, les sillons ; la hure d’un torrent soudain écorchant les talus ; la faux de l’eau rasant déjà les taupinières ; jusqu’à se jeter sans même s’en apercevoir sur la passerelle fouettée de pluie, glissante, de ce navire inattendu, en pleine terre, énorme cabane de berger, soudain flottant comme un bouchon. (Le lombric dans leur sillage, les taupes se sauvèrent par des galeries secrètes jusqu’au pied de la passerelle où pour elles un fanal fut la luciole.) Il y fera son terrier, son gîte, dans la bonne odeur de la paille, du fourrage, de la luzerne, qui sèche. Et puis déménagera : trop près des piliers aveugles de l’éléphant ou de l’hippopotame.

Toutes ces semaines à n’avoir rien à craindre des chasseurs et de leurs carnassières, de leur chevrotine, ni du collet dans le sous-bois, ni du rapace, bec et serre dans le bleu, mauvais archange dans le ciel, buse, vautour : sauvé ! Il n’a pas vu passer le mauvais temps. Dans son gîte, il songeait. Il s’étonnait aussi, dans cette nacelle, du double sens du mot « gîte ».



Et maintenant, il remercie. Il respire l’odeur de la terre. Il remercie ? Pas même : il dit « sa prière », sa prière, comme un enfant au pied de son lit, le soir, avant que sa mère le borde et l’embrasse, un baiser sur le front, un mot tendre, un sourire, et puis s’en va, emportant la lumière, la bougie, la chandelle, ou bien la laisse, sur un meuble, s’éteindre elle-même, loin des rideaux, pour que l’enfant ne craigne pas les démons noirs dans le noir de la chambre, tapis ; et le lit est de fer forgé, par le grand-oncle, en belles boucles et en cœurs, en fleurs, en rosaces comme des initiales brodées et entrelacées sur le drap conjugal ; le grand-oncle qui était maréchal-ferrant, forgeron, à l’entrée du village, au bord des champs de betteraves et de pavots, à leur lisière, et dont l’enclume, très matinale, réveillait la cloche de l’église, son sonneur ; et puis, un temps, l’enclume et la cloche se parlaient et se répondait comme on le fait au marché, ou le dimanche, après la messe...

Il prie, non pas Dieu, qu’il ne connaît pas, mais l’arc-en-ciel.

Lièvre païen, qui n’a pour missel et ne lit que le livre de la nature, les saisons, les météores.

 

Ce lièvre est un enfant qui gambade. Il s’est arrêté, assis, ses longues oreilles ne lui servent pas seulement à entendre les pas de prédateurs, de très loin, grâce au vent, mais ce sont des antennes où l’inouï quelquefois lui parle à l’oreille, et l’avertit d’une menace. Alors il détale. Peureux ? Prudent, rapide, vif, et tenant à le rester. Il se cache à l’abri d’une feuille, l’œil bien ouvert. Mais à cette heure, il dit sa prière. À Dieu ? Non. Dieu est trop loin. Il ne connaît pas Dieu. Mais à l’arc-en-ciel. – Cette transparence ! cette beauté. On dirait un chemin, une voûte, l’arche d’un pont, lumineuse comme l’échelle que Jacob vit en songe. Mais on n‘y marche que des yeux, on n’y passe, on y danse, qu’en esprit. Comme l’anse du panier à la main de la fermière, de la servante, son dos de vannerie, posé, lâché, effleure le séjour des anges, le seuil du ciel. Nous sommes embarqués dans le même panier, balancé, ce berceau, ce moïse, cette arche.

Il dit sa prière à travers la toile de l’araignée. L’animal le plus le plus joueur, le plus poudre d’escampette ; et l’animal le moins aimé, le plus haï : une étoile déchue comme Lucifer. « J’aime l’ortie et j’aime l’araignée, dit Hugo, Parce qu’on les hait. » Lièvre franciscain ! Il ne peut dire sa prière à la lumière irisée qu’avec toute la création, et à travers elle. Il regarde l’arc-en-ciel à travers la toile admirable de l’arantèle, de l’aragne, et c’est un vitrail, une rosace, un astre suspendu entre deux herbes, deux tiges d’ombelles, une chorale de lumière, un alléluia de silence. N’est-ce pas le signe que tous les péchés sont remis, effacés et lavés à grande eau, pardonnés, que le monde a retrouvé l’innocence, que l’éden a refleuri, que la mer en tumulte et vacarme, assaut et fracas d’une foule en armes, fut une fontaine de Siloé universelle, et que le diable lui-même, vêtu de neuf, étincelant, beau comme un ange est admis à la cour céleste, comme si rien ne s’était passé, comme si le paradis perdu par notre faute enfantine était pour toujours dilué comme un chiffre faux sur l’ardoise, qu’un coup d’éponge abolit ? La toile de l’araignée, si belle, pure dentelle, chef-d’œuvre, ne sera plus un piège, mortel au moucheron ; juste une merveille. Enfance ! enfance éternelle du monde. L’enfant mettra sa main dans le nid de la vipère. Tout est pardonné.

 

Dans Une saison en enfer, Rimbaud, qui s’est vu et dit « damné par l’arc-en-ciel », écrit : « Sur la mer, que j’aimais comme si elle eût dû me laver d’une souillure, je voyais se lever la croix consolatrice. » Cela, scellé par l’alexandrin, sonne comme en contrepoint du Bateau ivre, bateau perdu mais qui connut les illuminations et les éblouissements, les visions, la vision, quelquefois, de « ce que l’homme quelquefois a cru voir » ; qui, jusqu’au démâtage et le désir que tout éclate jusqu’à la quille, la colonne vertébrale, s’enivra de « liberté libre », et que voici comme « rendu » à la terre, entre deux pontons, à l’étreinte d’un havre, d’un cimetière de bateaux. – Le bateau ivre, où brillent des arcs-en-ciel.


L’arche, non nommée dans ce poème « diluvien », est le navire sauveur, sauvé, appelé à sa destruction, sa disparition, – l’émiettement et la sciure, par le travail des termites qui en firent leur ermitage plutôt que d’aller ronger dans la plaine et rogner, sous l’écorce, les oliviers, les chênes, – l’Arche, sur le mont Ararat, comme la coque végétale éclate enfin et se fend pour la diaspora des semences, le repeuplement et la reverdie du monde, jusqu’à la postérité d’Abraham, qui sera plus nombreuse que les étoiles du ciel et les grains de sable des mille et un rivages. Les insectes xylophages avaient eu à cœur d’épargner poutres et chevrons, membrures et nervures de l’arche, chevilles, inventant carême et jeûne, eux qui auraient pourtant traversé des siècles de déluge sur un fragment de radeau, une flottille d’échardes.

« Diluvien » est un mot qui se trouve dans une autre page de Rimbaud – « À la lumière diluvienne » – de même que cette arche moderne où « chante et se poste », un jeune couple, Adam et Ève d’un nouveau monde. L’arche est une image de la vie, d’une vie nouvelle, éternelle, et nous nous y sommes, dans notre enfance, livre d’images grand-ouvert, embarqués avec tout le monde, en compagnie de tous les vivants et de ce qui les fera vivre.

 

(À suivre)

 

Claude-Henri Rocquet

Septembre 2015

 

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