Ulysse est encore ici : Jean Giono

Agnès Castiglione et Mireille Sacotte (directrice de l'édition du Dictionnaire Giono – éd. Classiques Garnier, 2016), nous font entrer dans la vie et l'œuvre de l'écrivain à travers inédits, documents retrouvés et approches critiques de l'œuvre. Le tout selon la célèbre économie des Cahiers de l'Herne dont celui-ci est déjà le n° 129. Ce qui fait dire à un critique qui connut les premiers que le temps passe vite.

Pour preuve se célèbre déjà cette année le 50e anniversaire de la mort de Giono. Et pour saluer le moment comme il se doit, cette édition restera le monument de choix. Outre les textes inédits de l'auteur, les approches – entre autres de Corinne Von Kymmel, Catherine Soulard, Sylvie Vigne – soulignent l'importance de l'œuvre du pacifiste.
La guerre le marquera profondément.

Écologiste avant l’heure, la nature et l’homme se font face dans une œuvre qui questionne notre humanité à travers la Provence mais aussi selon toute une géographie imaginaire qui nourrit les romans de Jean Giono. Mireille Sacotte souligne cette géodésie. Elle n’est pas seulement terrienne mais tout autant  maritime ouverte sur le large.

C'est pourquoi la Provence de Giono a plus à voir avec l'imagination créatrice et la littérature d' Homère, de Virgile, l’Arioste et Stendhal que simplement avec Manosque – même s'il y vécu de manière sédentaire en quittant une première fois sa ville natale pour une incursion dans le Drôme voisine lors de son enfance.
Il restera pour toujours adepte des grands espaces de haute Provence et de la marche à pied. Mais expédié sur le front au printemps 1915 il y fait quatre années l’expérience de la violence guerrière, de la peur et de la mort. Pour ses camarades, il sait se transformer en conteur et leur raconte entre autre l’intégralité des Misérables.
Employé de Banque il reprend son métier après cet épisode, écrit de plus en plus, connaît le succès dès ses premiers romans : Colline (1928), Un de Baumugnes (1929) et Regain (1930). Il démissionne alors pour se consacrer entièrement à l’écriture.

Son premier texte, comme le rappelle ce Cahier, fut écrit en 1927. Il s'agit de "Naissance de l’Odyssée", hommage au poème épique d'Homère que Giono connaît presque pas cœur lorsqu'il fuyait dans les collines pour se laisser emporter par "une Odyssée bleue et verte, toute mouillée des bavures de l’eau".
Elle fait de ce continental un homme des mers. A la sortie de la guerre, ne retrouvant pas tout de suite son poste à Manosque, il découvre à Marseille et l'agence bancaire où il s’ennuie beaucoup,  la côte. Il  écrit en marge du poème d’Homère et devient à son tour Ulysse. Il voyage avec lui en explorant une Méditerranée qui  devient un espace métaphysique plus que physique.

Son texte premier est une superbe trahison d'Homère qu'il nomme "ce divin menteur" à l'image de tous les hommes. Selon lui leur seule vérité est le mensonge. Mais la littérature retourne ce dernier car la fiction restera pour Giono le plus superbe moyen de montrer ce que en aveugle le poète du XXe siècle voit et montre.
Toute l'œuvre doit être relue sous cet angle. Et ceux que cet important corpus développent le rappellent. Si bien que ce Cahier restera la plus superbe propédeutique à une œuvre qui – cinquante ans après la mort du poète – garde toute sa force et sa vitalité.

Jean-Paul Gavard-Perret

Agnès Castiglione et Mireille Sacotte (sous la direction de), Giono, Éditions de L'Herne, Paris, 2020, 288 p., 33 E..

Aucun commentaire pour ce contenu.