"De Canguilhem à Foucault" : la référence à un pouvoir implique une transcendance, nous rappelle Pierre Macherey

Il fallait un certain culot pour oser. Oser réunir en un volume cinq textes autonomes. Cinq textes épars dont le plus ancien remonte à 1963 et le plus récent à 1993.
D’autant que Pierre Macherey, comme tout philosophe, a vu ses normes de travail évoluer. Ses codes changer et sa réflexion se plier à certains modes d’investigation. Il a, d’ailleurs, explicité son itinéraire intellectuel depuis quarante ans dans un petit fascicule paru en 1999 aux Presses universitaires de France.
Les textes ici présentés portent en eux les transformations conjoncturelles qui ont marqué son parcours intellectuel. Ce qui installe entre eux une incontournable hétérogénéité. Aussi on pourrait se demander pourquoi les publier ensemble...

Sans doute pour une simple bonne raison. Répondre aux questions posées dans ces cinq textes. Car en les liant ainsi on les sent poussés par le mouvement obstiné d’une idée commune. Une idée proche d’une logique des conséquences. Une manière de forcer la vérité, comme dirait Pascal.
Et c’est bien à cette idée que Macherey a essayé de donner explicitement forme en choisissant pour titre au présent volume La Force des normes. Une force qu’il choisit d’interpréter dans les termes d’une puissance plutôt que dans ceux d’un pouvoir des normes. Car puissance et pouvoir (potentia et potestas pour parler le langage de la philosophie classique) désignent deux types d’action différents, voire opposés. La dynamique de la puissance est immanente. Car elle présuppose une complète identité et simultanéité de la cause à ses effets – qui sont alors dans un rapport de détermination réciproque. Tandis que la référence à un pouvoir implique une transcendance. Celle-ci étant réalisée par le moyen d’une antériorité de la cause par rapport à l’effet. D’où il découle comme logique qu’il doit y avoir plus dans la première – qui le commande – que dans le second, relégué au rang d’une conséquence simplement dérivée.

Avec le recul du temps, ces différents textes démontrent comment Pierre Macherey a cherché à rendre compte de ce qui lui paraissait être l’esprit fondamental des recherches de Georges Canguilhem et de Michel Foucault. À savoir, l’incontournable apport de celles-ci à la compréhension de ce que c’est que vivre. Et vivre en société – sous des normes ! – consiste souvent à faire passer la considération des problèmes avant celle des solutions.

À cet effet, Canguilhem et Foucault ont été - avec quelques autres – les représentants d’une pensée. Non déjà toute faite et formatée. Mais bien vivante ! Une pensée dans laquelle la force de la vérité se trace un chemin. Un sinueux serpent qui ne peut aller droit au but. Car il doit l’inventer, tout d’abord. Mais surtout car il voit qu’à mesure de son déroulement il semble vouer à ne jamais aboutir. Voire à se perdre en de multiples directions.
Mais il vaut la peine de le suivre. Ce chemin de la philosophie qui s’éloigne de Pascal. Car c’est à cette seule condition qu’il est possible de chercher quelques-uns des points par où passe ce fameux chemin.
Là, à la croisée, où Pierre Macherey, a (re)connu le succès de la force des normes.

 

Sommaire -
La philosophie de la science de Georges Canguilhem. Epistémologie et histoire des sciences.
Pour une histoire naturelle des normes.
De Canguilhem à Canguilhem en passant par Foucault.
Georges Canguilhem : un style de pensée.
Normes vitales et normes sociales dans l’Essai sur quelques problèmes concernant le normal et la pathologique.

 

Annabelle Hautecontre

 

Pierre Macherey, De Canguilhem à Foucault - La Force des normes, La fabrique éditions, septembre 2009, 141 p. - 13 €    

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