Jean Narboni : Samuel Fuller affabuliste

Narboni éclaire la trajectoire filmographique de Samuel Fuller que d’aucuns estiment insurrectionnelle en montant son œuvre au rang de successions de « fables ». Voire. Si fable il y a la leçon est mince. L’auteur reconstitue la « politique » cinématographique de celui qui à travers quelques, chefs d’œuvres « Le Port de la drogue », « Shock Corridor » (même si le film a vieilli) « Dressé pour tuer » et pas mal de navets reste une réalisateur à la fois des studios hollywoodien et un des premiers indépendants.

Héros de la guerre, reporter des faits divers qu’il chroniqua, il continua ces premières pratiques dans son travail de réalisateur. Comme tous les intellectuels français bien pensants Narboni trouve dans Fuller celui qui a mis en évidence la violence de la politique et de la société américaines. Il appartient à ce titre aux trois mousquetaires de Hollywood des années soixante avec Robert Aldrich, Richard Brooks ou Nicholas Ray. Il n’est pas pour autant leur d’Artagnan sinon par sa volonté à pratiquer une certaine faconde visuelle.

Les fables de Fuller restent toutefois moins fulgurantes et chargées de soufre que Narboni ne l’estime. Témoin de sa société il l’est sans doute mais son lyrisme propose un effet d’affichage ou de discours facile. Il touche rarement au fond des problèmes (la violence par exemple). Et si Tarantino reconnaît sa dette envers lui, par rapport à ce dernier il demeure très consensuel. Ses monstrations ne sont que le cache-sexe des inégalités existantes et des données politiques et sociales. La diversité des genres abordés, la pluralité du traitement sont souvent plus arrogantes que dérangeantes. Les failles gigantesques de l’être et la société sont traités en spectacle convenu. Ils correspondent aux genres abordés plus qu’à une réelle subversion même si Fuller pousse parfois le bouchon un peu plus loin que ses contemporains.

Tous les phénomènes de déviance restent de l’ordre du simple reflet plus que de la remise en cause. Certes il faut bien sûr recontextualiser les films dans leur époque. Mais Fuller demeure prisonnier de poncifs narratifs et idéologiques. Et si le réalisateur apporte à chaque genre ses propres références et expériences il reste très middle class dans sa manière d’aborder le réel. Son cinéma est codé n’apparient pas aux œuvres phares qui éclairent l’histoire du 7ème art. Le regard reste plus dominant que défiant. Les dévoilements demeurent de l’apparat en une sorte de logique de l’entre-soi et de la loi du cinéma hollywoodien.

Bref Fuller n’est pas Cassavettes Qu’on pense par exemple- dans la propension de transformer le cinéma en fable à l’écart qu’il existe entre cet habile concepteur et un Ozu dont le tragique, la drôlerie et la beauté des films sont à des années lumières d’un cinéaste que Narboni tente de sauver. L’horizon utopique est bien différent et la métaphore cinématographique chez Fuller reste dans l’ordre d’un consensus plus que d’un dissensus. Le pouvoir d’insurrection se situe au sein d’une tradition plus que d’une conversion quel que soit le genre abordé. L’indépendance de Fuller est donc relative - ses diverses activités dans les studios californiens le prouvent

Jean-Paul Gavard-Perret

Jean Narboni, Samuel Fuller, un homme à fables, Editions Capricci, décembre 2017, 144 pages, 18 €

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