Rendez-vous conte !

« Donner à voir la féerie, le merveilleux, n’est pas tâche aisée. Certains illustrateurs ont préféré esquiver la difficulté. D’autres, au contraire, ont fait de cet espace de liberté leur terrain de prédilection. » À partir de ce constat, extrait de leur excellente préface, Carine Picaud et Olivier Piffault circonscrivent l’amplitude du projet auquel ils s’attaquent : brosser trois siècles de l’imagerie des contes de fées, en montrant la multiplicité des lectures proposées dans leurs traitements iconographiques successifs.


Les auteurs – dont il manque une notice de présentation, et c’est la seule lacune de l’ouvrage – ont œuvré en spécialistes polyvalents. En philologues d’abord, puisque les dix contes qu’ils ont sélectionnés sont proposés dans leur version de référence et assortis d’une notice explicative, les situant dans la production globale de leur signataire et dans leur temps, et proposant diverses interprétations symboliques. Ensuite, en connaisseurs du livre : chaque gravure ou peinture est appréhendée dans la matérialité de l’objet dont elle fait partie, qu’il s’agisse d’un leporello  ou d’un toy book (il faudra aller y voir vous-même si vous ignorez ces formats). Enfin, et c’est l’apport le plus impressionnant de cette somme, en historiens de l’art. Les notices explicitent, avec densité et clarté, la personnalité de l’artiste, le mouvement esthétique dans lequel il s’inscrit, les techniques exploitées, l’orientation de sa démarche créative.


Certes, la part belle revient aux grands noms, les Gustave Doré, Arthur Rackham et autre Walter Crane, omniprésents dans la mesure où ils se spécialisèrent dans ce domaine de l’illustration. Mais on sera heureux de tomber ici sur un cuivre de Marie Laurencin, là sur un bois gravé de Frans Masereel, ailleurs sur un tableau d’Edward Burne-Jones. On découvrira aussi toute une galerie de noms méconnus ou oubliés, comme celui de Lucien Laforge, caricaturiste anar de la Belle-Époque, qui donna une série de pochoirs aux contes de Perrault. Ou encore Violet Brunton dont certaine effrayante silhouette, pour La Belle et la bête, a dû influencer le réalisateur du film Donnie Darko… En tout, ces pages contiennent quelques deux cents illustrations, dues à une centaine de noms différents. Un brassage qui permet de relire l’histoire de l’art par la bande, puisque l’on croisera des tenants du classicisme, du romantisme, de la « fin-de-siècle » jusqu’au constructivisme et à l’abstraction.


Le déroulement adopté est quant à lui d’une cohérence exemplaire, qui permet de saisir les innombrables déclinaisons suscitées par un même thème. En effet, chaque série d’images est organisée selon la diachronie de la narration, et l’on déambule donc au fil des variations de regards propres aux artistes. On passe ainsi d’un motif art nouveau à une scène typiquement romantique, puis à une évocation naïve ou à une lecture hyper-contemporaine des différents temps fort de l’histoire.


L’ensemble est si beau qu’en s’en délectant on oublierait de cligner des yeux, si cela ne nous était un réflexe. Il compose en outre un panorama de référence, servi par une érudition sans faille, et qui donc nourrit doublement l’esprit, par la richesse du savoir et la magie du rêve. Une réussite.

 

Samia Hammami

 

Carine Picaud et Olivier Piffault, Contes de fées en images. Entre peur et enchantement, Éditions La Martinière, novembre 2012, 225 pages + dix planches inédites de Joëlle Jolivet, 45 €.

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