"Le goût de l'immortalité", personne ne sortira d'ici vivant!

 


Voici la réédition d’un roman français de science-fiction paru en 2005 qui fut couvert de prix : prix Rosny-Aîné 2005, Grand prix de l’Imaginaire 2007, prix Bob Morane 2006… Avec ce livre, Catherine Dufour, publiée chez Denoël dans la collection « Lunes d’encree, a connu la consécration dans le milieu littéraire. La science-fiction française a toujours souffert de la comparaison avec sa grande sœur américaine et pâtit aussi de la baisse continue des ventes de livres. Catherine Dufour annonce-t-elle avec ce livre le renouveau d’un genre qui en a bien besoin ?


Le futur sera noir


Dès les premières pages, le ton est donné : l’avenir sera noir ou ne sera pas ! La narratrice décrit une ville, Ha Rebin, devenue tentaculaire, avec ses tours hautes de plus de huit kilomètres, dans un ciel pollué. La majorité de la population est quant à elle reléguée dans les bas-quartiers, voire dans les égouts de la ville, et survit à bien des vicissitudes : maladies, manipulation génétiques, pollution... L’Occident s’est effondré depuis longtemps et les multinationales règnent sur ce monde dystopique. On retrouve des ambiances et des thèmes charriés depuis les années 70, par le cyberpunk en particulier. Certaines descriptions urbaines font évidemment penser à BladeRunner - avec le recul, force est de constater que Ridley Scott a défini notre imaginaire « science-fictionnesque » avec ce film ! Quant à l’écologie, n’en parlons pas : l’humanité a détruit son environnement et provoqué la disparition de la plupart des espèces animales, dont elle conserve religieusement le génome, au cas où elle découvrirait un monde vierge... Dans cet univers, né d’un cauchemar que seuls les écrivains de science-fiction peuvent faire, l’auteur situe une histoire singulière : celle de la narratrice, dont le nom ne sera jamais dévoilé au lecteur, et de Cmatic, chercheur venu s’échouer à Ha Rebin pour y mourir… mais les choses ne seront pas aussi simples.

 

Originalité et limites


Le goût de l’immortalité surprend, dérange, force le lecteur à s’interroger. Au centre du roman, il y a cette rencontre improbable entre une femme-enfant et un beau blond mourant pour lequel elle a un coup de foudre immédiat. Quant à Cmatic, il restera un personnage mystérieux, prisonnier du regard de cette amoureuse transie. Il inspire de très beaux passages à l’auteur - retenons celui de sa résurrection, ainsi que la description de son enquête qui met à nu les manipulations de la multinationale qui l’emploie. Ce livre, c’est en partie la descente aux enfers d’un homme qui avait choisi les certitudes de la science comme refuge et qui est rattrapé par la violence d’un monde devenu cauchemar. Retenons aussi l’originalité du ton de la narratrice, à la fois celui d’une petite fille et d’une très vieille femme, qui confère au récit l’espièglerie du conte tout autant que le choc d’une confession terrible, en particulièrement lorsqu’elle évoque la relation avec sa mère.


Pourtant, le goût de l’immortalité a des limites. De ce récit épistolaire et fragmenté, où tout n’est pas dit, on peut parfois être gêné par le manque de linéarité : certains chapitres se suivent sans se connecter (du moins sur le moment car tout est logique à la fin) et on ne peut que recommander de lire l’ouvrage d’une traite pour éviter l’impression d’une construction décousue. La froideur du texte, qui fait parfois penser à un exercice de style auquel il manquerait de l’émotion, peut aussi gêner. Mais, malgré ses limites, ce roman, par sa noirceur, sa construction, et la façon dont il aborde des thèmes - immortalité, critique des conséquences d’un « progrès-Léviathan »…-, marque incontestablement une étape pour la science-fiction francophone : David Camus écrit dans sa préface qu’il a détesté le livre, tellement il aurait voulu l’écrire. Laissez-vous donc embarquer par Catherine Dufour dans ce monde de cauchemar qui, à bien des égards, semble préfigurer notre avenir… ou pas. Lisez et réfléchissez.

 

Sylvain Bonnet


Catherine Dufour, Le goût de l’immortalité, éditions Mnémos, préface de David Camus, septembre 2012, 250 pages, 18,5 €

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