Catherine Millet et Dali

Montrant combien Dali fut spectateur autant que peintre, soulignant  les détours picturaux de l’affect (froid)  du peintre, Catherine Millet explique comment il a su donner dans son œuvre à la fois un  sentimentalisme (à l’opposé du mièvre) et un érotisme transcendés par un univers où l’image crée une circulation étrange. René Quinon écrivait d’ailleurs dans son Abécedaire de Félixité, qu’après Manet, Dali fut celui qui nous plongea le plus près de  l’Origine du monde – entendons le sexe de la femme. Mais là où Manet se contenta d’une image, Dali la diffracta dans tous les sens avec toujours une possibilité d’irruption angoissante – liée chez lui à la masturbation (passage du fantôme au monstre, au monstre d’une monstration auto-agissante et auto-suffisante).
Ainsi et comme le rappelle Catherine Millet, celui qui a toujours présent à l'esprit (surtout lorsqu’il écrit et parle) l'idée qu'il élabore un personnage à destination du public, a su par delà même  ses fameuses théâtralisations jet-set créer une œuvre proche de ce dernier matin du monde où, contrairement à ce que pensait Novalis, ce n’est pas  la lumière qui ne ferait plus fuir la nuit et l’amour mais l’inverse en une sorte de rêve (tout autant que cauchemar) éternel, inépuisable.
La critique a aussi mis l’accent sur l’importance de Gala dans la vie du peintre. A ce titre elle offre sans insister un contre-point à celui qui partagea les notoriétés de la reconnaissance médiatique à la même époque : Picasso. Peut-être parce que femme elle-même, Catherine Millet dégage Gala de son image de harpie. Et l’on peut penser qu’à sa manière cette dernière posséda un rôle comparable et capital à celui que la femme de Beckett eut pour l’auteur (même si les années finales furent plus vivables pour le couple Dali que celui de l’auteur de L’innommable. Gala joua ainsi de gré ou de force le rôle de muse idéalisée (qu'il a représenté en Vierge). On peut à ce titre facilement combien ce rôle frustrant était lourd a porté même si Gala su en tirer des bénéfices.
Catherine Millet montre ainsi l’importance d’une œuvre dont on n’a pas encore compris tous les enjeux, les tenants et les aboutissants. Dali à sa façon – moins radicale certes du moins en apparence que certaines autres expériences – a modifié bien des règles du jeu par le jeu des images lui-même. Jamais rattrapé par ses oripeaux d’apparat et animé d’un souci de cohésion totale le jeu qu’il joua au monde fut un jeu nécessaire afin que le charme de l’œuvre opérât en sa magie blanche et noire.

Jean-Paul Gavard-Perret

Catherine Millet, Dalí et moi, coll. Art & artistes, Gallimard, avril 2021, 192 p.-, 21€

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