Brûlures nombreuses

Depuis le coup de tonnerre qu'aura causé son premier roman, Le grand Marin, nous faisons confiance à Catherine Poulain. Elle est un grand écrivain, une des voix les plus remarquables de notre époque. C'est dire à quel point des milliers de personnes attendaient son deuxième roman, et le voici.

Deux personnages nous captivent, et d'abord Rosalinde : « Elle est rentrée au camion, s'est blottie tout habillée dans ses couvertures. L'ombre de la bougie palpite sur le mur comme un animal, peut-être une chauve-souris. »
Cette jeune femme pauvre est une saisonnière qui s'épuise à travailler dans les vignes ou les fruitiers, en Provence. Nous l'apercevons aussi à travers la narratrice, Mounia, la seule à disposer de la première personne : « Je suis arrivée dans ce bled niché dans la montagne à la fin de l'automne, après la récolte des pommes dans les Alpes. »
Chacune de ces femmes vit dans une précarité épouvantable, confrontées qu'elles sont à la misère, à la saleté : « Ça pue le moisi, les poubelles, des relents âcres de viande avariée se mêlent à ceux plus acides de fruits pourris. »

Et à la brûlure du soleil, à une chaleur intense, étouffante, qui donne envie de se déshabiller : on rêve de tissus légers, on porte un short ou n'importe quel vêtement rapiécé et immanquablement, on se trouve face au désir des hommes. Acacio, Lionel, le Gitan, Thomas, le Parisien, Cesario, Paupières de Plomb, ils sont tous là à fureter, à zyeuter les fesses et les seins de ces femmes, surtout Rosalinde, qui « leur fait mal au ventre ». Elles sont de la chair à viol, comme on dirait de la chair à canon.

Cette violence terrible, cette menace est constamment présente dans ce roman, où toujours le travail – le tripallium, instrument de torture – est seulement l'arrière-plan d'une violence plus grande, celle qui partout est faite aux femmes, uniquement parce qu'elles sont des femmes. Elles restent là, elles acceptent cette condition effrayante parce qu'elles aussi ont besoin de ressentir le désir sexuel, l'envie de boire, l'amour pour l'alcool : on se soûle à mort, on retourne travailler, et le soir on se soûle encore. Les bergers crèvent de soif dans la poussière, et le Giono du Serpent d'étoiles n'est pas loin. Les amants éconduits s'éloignent. Ces deux femmes les ont égarés, jetés dans les buissons. La tendresse qui va naître entre Mounia et Rosalinde comptera pour rien, ou presque ; au loin, les désastres et les incendies se profilent.
D'autres brûlures viendront.

Jamais la pulsion de mort ou le désir d'auto-destruction n'ont été évoqués de manière aussi saisissante. Évidemment Catherine Poulain maîtrise superbement ce registre : « Le feu se joue de nous comme du reste. »

On attend qu'un jour prochain elle nous parle de naissances, de joie, de ruisseaux, de rivières et qu'elle lise avec nous René Char : « Le point fond. Les sources versent. Et en bas le delta verdit. Content de peu est le pollen des aulnes. »

Bertrand du Chambon

Catherine Poulain, Le Cœur blanc, éditions de l'Olivier, octobre 2018, 255 p. -, 18,50 €

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.