Les nymphéas, l’aboutissement ultime

La mer quand il est au Havre, la Seine, la Tamise, sans oublier les bords de la Creuse où en 1889, installé à Fresselines, il compose sa première série, où que ce soit, l’eau attirait la brosse de Monet, selon les mots de Clémenceau dans son livre paru en 1928, Les Nymphéas.
Sur une autre page, on peut également lire : L’idée des Nymphéas tenait Monet depuis longtemps. Silencieux, chaque matin, au bord de son étang, il passait des heures à regarder nuages et carreaux de ciel bleu passer en féeriques processions, au travers de son jardin d'eau et de feu.

Dans ce bel ouvrage, sur une soixantaine de pages, en grand format, les détails des tableaux apparaissent un à un, dans une suite ininterrompue de teintes douces et transparentes mais non sans puissances, s’annonçant les unes les autres, composant peu à peu des ensembles d’une rare harmonie picturale, dans une progression aboutissant à un long cortège de reflets, d’irisations, de nuages inversés, de miroitements au couchant, de frémissements le matin, de feuilles de saules qui s’agitent, dans un espace dilaté et sans repère tangible, univers en apparence désordonnée, en vérité savamment organisé.
Pour tenter de donner une idée de ce que l’on découvre comme jamais auparavant, peut-être peut-on emprunter à Louis Gillet (1876-1943), historien et critique d’art, auteur de conférences sur l’art de Giotto à Matisse, des mots qui décrivent ces fééries de douce lumière, ces échanges impalpables de nuances, l’extrême fluidité des accords de couleurs comme autant de notes musicales. Louis Gillet décrit en 1927 donc cette étonnante peinture, sans dessin et sans bords, cantique sans paroles, tableau où le peintre n'a plus d'autre sujet que lui-même, plus de ciel, plus d'horizon, presque plus de perspective, de plans distincts, de points de repères stables permettant de s'orienter ; des limites ouvertement arbitraires ente l'espace réel et l'espace pictural...la pure abstraction ne peut aller plus loin. Plus rien que le jeu des facultés imaginaires, simple combinaison des formes pour le plaisir, dans la catégorie de l’art.

Monet s’est installé à Giverny en 1883. Le jardin devient le lieu de toutes ses prédilections, son lieu de célébration de la beauté renouvelée de la nature. Une photo attribuée à Henry Manuel, qui travailla avec Man Ray, montre Monet dans son vaste atelier, une grande palette dans la main gauche. Un nouveau style s’est fait jour dans son parcours, plus moderne du fait qu’il semble plus abstrait, et sans perdre l’héritage impressionniste, va vers des solutions radicales ainsi que l’indique Cécile Debray, directrice du musée de l'Orangerie. La touche est rapide, souvent longue, qui de près serait illisible, de loin s’intègre aux autres et donne vie, lyrisme, vérité. Monet est emporté par une fièvre créatrice écrit l’auteure. Il est porté par ce projet qui est aussi son rêve de toujours. Pour lui ainsi qu’il le dit, le motif est quelque chose de secondaire, ce que je veux reproduire, c'est ce qu'il y a entre le motif et moi.

De même que lorsqu’il entre dans les deux salles ovales dessinées sur les conseils de Monet par l’architecte Camille Lefèvre,  en parcourant ces pages, le regard est littéralement immergé dans le tableau, il entre dans un mystère. Il peut voir les huit compositions à loisir, comme s’il était devant les huit compositions du musée, qui avait été inauguré le 17 mai 1927, quelques mois après la mort de l’artiste.

L’œuvre surprend la critique de l’époque, qui y voit un décor de cabines-salons des paquebots. Il faut lire les quelques phrases citées à la fin du livre écrites par le philosophe Gaston Bachelard en 1952 pour saisir l’incroyable méprise de ceux qui n’avaient pas compris ce que signifiait la beauté de cette onde sans horizon et sans rivage.

 

Dominique Vergnon

 

Cécile Debray, Les Nymphéas, Claude Monet, 200 illustrations, 218 x 312, éditions Hazan, novembre 2020, 208 p.-, 45 euros

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