Cécilia Dutter, La loi du père : Un chemin de vie

D’un certain point de vue, La loi du père pourrait décrire une famille des Trente glorieuses avec ses hauts et ses bas. Le  père  a emprunté l'ascenseur social de l'époque. Ce fils de gendarme savoyard est devenu un brillant traducteur-dialoguiste pour le cinéma. Marié à une femme qu'il aime et qui travaille avec lui,  le foyer déménage souvent pour des appartements de  plus en plus grands, les filles sont à l'école Alsacienne. La réussite semble parfaite, fermez le banc.

Sauf qu'à y regarder de plus près, la  réalité est très différente. L'homme qui à l’extérieur est aimable, sympathique est  un monstre dans sa propre famille. Avec ses parents qui ont selon lui, toujours préféré son frère mais surtout avec sa conjointe et ses filles. Les colères, les hurlements sont incessants. Son comportement est  erratique, vire criminel. Lors de vacances à Naples, après une dispute avec sa compagne, il abandonne celle-ci et leur fille dans le quartier le plus malfamé de la ville, sans papiers ni argent, restés à l'hôtel, les exposant à de réels dangers. Lors d'un autre accès de rage, il brandit un long couteau de cuisine ou encore enferme son épouse en pleine nuit sur le palier.

Sa fille,  la narratrice qui a appris à anticiper son courroux attend que la tempête passe et imagine que tous les pères dysfonctionnent ainsi. Mais en grandissant, elle remet en cause son pouvoir illégitime, commence à lire, utilise le mot tyran à son encontre. Reprend mot pour mot les termes de Lettres au père de Kafka.

Elle n'est pas dupe quand il lui offre un studio, comprend qu'il préfère le tout matériel aux mots tendres qu’il est incapable de formuler.

Ce livre de Cécilia Dutter,  l'auteure de Etty Hillesumou de Flannery O'Connor, Dieu et les gallinacés est sans doute le plus abouti, le plus personnel. La foi, la croyance qui étaient déjà au cœur de ses précédents ouvrages éclairent d'un jour très original une enfance, une jeunesse qui auraient pu  être considérées sous l'unique prisme un peu réducteur de la maltraitance.

C'est un chemin de vie qui est ici, disséqué, analysé. Parvenue à la cinquantaine, c'est la femme adulte, mère de grands enfants qui se retourne sur cette enfance si dure qui  lui a donné le désir d'un autre père solide exerçant un pouvoir légitime. «  Ce père avec un grand P, je le trouve en Dieu », affirme t-elle. L'écrivaine aurait-elle rencontré Dieu si son propre père avait été plus stable ? Elle ne tranche pas mais la question est posée.

Jamais elle ne parviendra à saisir tout à fait cet homme aux phrases qui tuent. Sont-elles  toujours volontaires ou parfois maladroites ? Impossible de savoir, difficile dans un premier temps de pardonner. Elle tente de rétablir l'équilibre de leur histoire bancale et finit par lui reconnaître dans la maladie une certaine sagesse, devine une transcendance.

Il  lui faudra une grande force de caractère pour réussir ce long chemin spirituel, restitué étapes par étapes, crises après crises pour qu'enfin, elle ne conserve que les instants incandescents de son enfance : «  maintenant que   père a rejoint le Père. »  Elle devra faire preuve d'une foi à toute épreuve pour faire de cette « rencontre manquée «, de cette enfance saccagée,  un magnifique témoignage de résilience et au final de pardon.

Brigit Bontour

Cécilia Dutter, La loi du père, Éditions du Cerf, mars 2019, 176 p.- ; 18 €

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