A propos des chefs-d'oeuvre...

Continuant son exploration très personnelle de la littérature, pour laquelle il a une folle passion, Charles Dantzig propose un essai sur les chefs-d'oeuvre, partant qu'il est le premier (hors le champ universitaire) à s'interroger sur ce qui fait d'un texte un chef-d'oeuvre ou une oeuvre quelconque.

"Le chef-d'oeuvre est un objet qui n'a au fond rien à voir avec la critique qu'on peut en faire. Il s'approche de l'absolu et s'y tient très longtemps. Il semble une réalisation de l'idéal sur terre."

Dantzig ne donne pas à proprement parlé de définition, même s'il en donne plusieurs : il n'est pas là pour cela. Il promène son lecteur dans un parcours sensuel et culturel, fait de nombreux pas de côté, mais toujours gardant en tête qu'il finira par comprendre vraiment son sujet, ce que bien sûr il ne parvient pas à faire, car ce serait détruire son sujet même.

Si ses analyses ne sont pas toujours justes (1), il faut lui reconnaître un sens de l'entrain et un dilettantisme éclairé, mais bien sûr son palmarès restera très personnel et c'est le point sur lequel achoppe son propos. Personne, de crainte sans doute des quolibets, n'ira dire que la Recherche du temps perdu n'est qu'un petit pan de mur jaune dans l'immensité de la littérature, mais personne non plus ne peut définir l'immatériel du texte "contre lequel il n'y a pas d'objection" (p. 20). Prenons Flaubert, qui pendant de longues années, il était mis au ban de la littérature, plus enseigné, presque plus édité, puis il est revenu. Prenons Rimbaud, qui a végété dans le grenier d'un libraire de longues années avant d'être sacré. Le chef-d'oeuvre est-il ce texte qui échappe au temps, qui échappe aux tentatives de passer outre le moment qu'il a figé par ses qualités propres dans l'histoire de la littérature ? n'est-ce pas l'époque qui donne ses lettres de noblesse à telle ou telle oeuvre, autrement dit le chef-d'oeuvre peut-il être absolu ?

Il faut admettre que le chef-d'oeuvre est aussi bien lié à la qualité propre de l'oeuvre littéraire qu'au moment de sa réception, qu'au lecteur qui s'en empare, qu'aux sentiments intemporels qu'il fait naître chez le lecteur. Qu'en un mot, il n'est pas saisissable, et ce n'est pas une raison suffisante pour ne pas essayer de s'en saisir !

Par une multitude de courts chapitres, qui sont autant d'angles d'attaque du sujet - car Dantzig ne propose pas une thèse pour en finir mais un parcours d'amoureux -, où l'on voit que "un chef-d'oeuvre est une flèche", que "le chef-d'oeuvre (est) illisible", que "le chef-d'oeuvre nous transforme en chef-d'oeuvre", Dantzig met son érudition joyeuse au service de sa question, dont il laisse habilement tout un chacun s'emparer à sa manière. Dantzig nous guide, nous montre un chemin sans imposer de marcher sur ses traces, ce qui le rend encore plus sympathique.

A la manière des essais d'Alberto Manguel, A propos des chefs-d'oeuvre est une lecture qui enchante l'intelligence.

Loïc Di Stefano

(1) Exemple : il trouve le "Il voyagea" de Gustave Flaubert, qui est l'ellipse la plus prodigieuse de la littérature, "bien affecté"... 

Charles Dantzig, A propos des chefs-d'oeuvre, Grasset, janvier 2013, 272 pages, 19,80 eur

3 commentaires

Mais qui lit encore les chefs-d'oeuvres ? Faites donc un sondage autour de vous. Qui a lu - en entier - Les Souffrances du jeune Werther, Guerre et Paix, Tristram Shandy, La Divine Comédie ou Les Fiancés de Manzonisoit les œuvres majeures des littératures allemande, russe, anglaise et italienne ? Don Quichotte est logé à la même enseigne. Si de nombreux lecteurs évoquent le départ du héros à travers la Mancha, peu d'entre eux sont assez patients pour aller jusqu'aux cabrioles de l'ingénieux Hidalgo, complètement nu, qui mime la folie dans la montagne sous les yeux de Sancho. Et les romans français? Vous êtes-vous demandés pourquoi parle-t-on aussi souvent de la petite madeleine ? L'œuvre complète de Proust décline pourtant de nombreux passages où le narrateur fait l'expérience du pouvoir de la mémoire instinctive. Oui mais voilà, La Recherche du temps perdu s'étend sur plusieurs milliers de pages, et l'épisode de la petite madeleine se trouve - comme par hasard - au tout début du tout premier tome!...


Bien vu, TM
Je n'ai pas lu le livre de Dantzig, cela ne vas m'empêcher de porter un jugement aussi subjectif qu'infondé sur lui . Après tout, les émissions littéraires sont pleines de gens qui ne lisent pas les livres qu'ils chroniquent, je ne vois pas pourquoi ce sport rigolo serait réservé à l'élite, j'y ai droit, moi aussi... comme dit la génisse de L'Oréal à la télé,  "parce que je le veau bien".
Ecrire ce genre de livre sur un non-sujet pareil me semble à priori relever -mais je peux me tromper, je ne suis pas toubib- d'un onanisme intellectuel dont l'inutilité  fonctionnelle et la vacuité conceptuelle  ne peut que ravir  le critique amateur.

Le procédé est limpide : prendre un mot fourre-tout utilisé à tort et à travers-(surtout à tort, d'ailleurs, et en permanence  de travers), et explorez le sous toutes les coutures : sémantiquement, philosophiquement, commercialement, psychanalytiquement, et plein de mots en "ent", sans jamais en donner une définition précise. Le but est de produire un livre qui donne une aura de philosophe à son auteur, même s'il n'en a vendu que douze, dont la moitié achetés par sa maman.
Je me trompe?

Tenez, amusons nous, nous aussi : comme mot en "ent", essayons "culinairement" -(au sens d'aiguiser la gourmandise du lecteur) : l'esprit est le même que pour les recettes de la mère Poulard : de pas grand chose, faisons un rôt en apparence délectable .

Notez bien, ceci pourrait être la recette du livre :

  1. Prenez le simple mot "chef d'oeuvre" tout bête, en apparence.
  2. Commencez par le dégraisser de toutes ses connotations annexes, dépecez-le d'un esprit analytique acéré, faites mariner dans une  érudition sans faille, saupoudrez  le propos  au name-dropping,
  3. faites revenir la sauce aux madeleines des souvenirs de lecture de chacun.
  4. Servez tiédasse, avec un brin d'esprit poétique, pour exacerber les saveurs, et  surprendre agréablement le lecteur déjà mis en appétit par le titre (comme dans un menu de resto).
  5.  Puis, livrez à la dégustation/achat des foules admiratives dans les librairies, et à la docte analyse des critiques gastro-littéraires , Dieux tutélaires qui donnent ou retirent les étoiles.
 De la cuisine moléculaire, en somme, ou l'assiette , aguichante et prestigieuse, est pleine de vide et vous laisse sur votre faim.

Je me trompe? tant que ça? Au delà de la posture, et des convenances, il ne serait pas un peu dispensable, ce bouquin?

Et puis Dantzig qui évoque les chefs-d'œuvre, c'est un peu comme si Karim Benzema parlait de physique atomique... bref, sûrement dispensable, oui, ce livre...