L’Œil de Baudelaire au Musée de la Vie romantique

Jusqu’au 29 janvier 2017 se tient une drôle d’exposition au Musée de la Vie romantique, une approche entre poésie et peinture : L’Œil de Baudelaire.
Ainsi à l’occasion du cent-cinquantenaire anniversaire de la mort du poète l’occasion était trop forte de ne pas oser aborder – et exposer – les curiosités esthétiques de Charles Baudelaire.
Il fallut imaginer une exposition à l’ancienne qui parvienne à tisser un dialogue entre les textes du poète, alors dans sa prime jeunesse, et les œuvres d’art qu’ils commentaient, se lançant à la suite de Sainte-Beuve dans la périlleuse aventure de la chronique…  S’offre ici au visiteur l’occasion de pénétrer dans les grandes pages des écrits esthétiques de Baudelaire qui firent date dans l’histoire de la critique d’art.

Ce ne sont pas moins d’une centaine de peintures, sculptures et estampes que Baudelaire étudia de près ; et le spectateur est invité à confronter son propre regard à la sensibilité artistique de l’auteur des Fleurs du mal et à tenter de comprendre comment s’est forgée la définition de l’art moderne porté par Manet à laquelle le poète reconnaît cette "beauté moderne" fruit d’une "conception double" qui exprime l’éternel dans le transitoire.

 

Un parcours qui s’articule en quatre étapes :
- les phares : Baudelaire méprise  la peinture officielle (Horace Vernet), triste (Ary Scheffer) et les compositions pédantesques des élèves d’Ingres ! Il définit l’art moderne comme une sorte d’intimité, spiritualité, couleur, aspiration vers l’infini. Il n’en apprécie donc que plus les audaces de Decamps et de Catlin et célèbre "la couleur d’une crudité terrible" de William Haussoulier ;
- le musée de l’amour : deux femmes figurent dans la vie du poète et dans Les Fleurs du Mal, deux diablesses que cette Jeanne Duval (la "Vénus noire", souvent chantée, mais aussi portraiturée par Baudelaire), et Madame Sabatier (la "Vénus blanche", à laquelle il a destiné Réversibilité ou Confession, et dont Clésinger nous restitue l’éclatante beauté) ;
- l’héroïsme de la vie moderne : Baudelaire voit en Goya celui qui créa "le monstrueux vraisemblable", et chante les louanges de Brueghel pour ses "tableaux fantastiques". Mais il ne peut supporter les portraits peints de Flandrin, Dubuffe ou Lehmann qui véhiculent encore ces "conventions et habitudes du pinceau qui ressemblent passablement à du chic". Quant à la nouvelle "industrie photographique", elle ne saurait "empiéter sur le domaine de l’impalpable et de l’imaginaire". Paradoxalement, cela ne l’empêche pas de poser pour Nadar, Carjat et d’autres, tout comme ses confrères et amis en littérature (sic) ;
- le spleen de Paris : horrifié par le monde moderne, Baudelaire rejette finalement Courbet et Delacroix, le Réalisme n’est qu’une blague et c’est finalement un artiste "de second ordre", Constantin Guys, dessinateur, aquarelliste, lithographe, qui représente pour le poète ce "peintre de la vie moderne" qu’il cherchait vainement depuis ses premiers Salons. C’est lui, "le peintre de la circonstance et de tout ce qu’elle suggère d’éternel", l’infini dans l’indéfini alors que Delacroix représente "l’infini dans le fini".

130 œuvres, manuscrits et documents pour éclairer d’un jour nouveau l’apport du poète à l’histoire de l’art.
Antoine Compagnon qui, en 2014 avait signé un remarquable essai sur le turbulent poète rapporte dans sa préface que Baudelaire était hostile au sentimentalisme politique de son temps et craignait par-dessus tout d’être dupe : une attitude noble qui le mettait en retrait, en questionnement, comme doit l’être tout homme qui exerce une activité intellectuelle…

François Xavier

L’Œil de Baudelaire, Charlotte Manzini, Robert Kopp (sous la direction de), préface d’Antoine Compagnon, postface de Jean Clair, broché, nombreuses illustrations, Musée de la Vie romantique, septembre 2016, 350 p. – 29 ,90€

PS -
Catalogue que l’on pourra aisément lier à la publication en fac-similé du livre peint par Matisse.

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