Sketches inédits : La pharmacie absolue d’André Frédérique

A une époque où seuls les politiciens qui se prennent les pieds dans le tapis plus qu’à leur tour et l’ordonnateur des Pompes funèbres qui officie partout dans ces régions du sérieux font rire, il est utile de publier des sketches inédits d’André Frédérique (1915-1957). Ce recueil devrait être prescrit par les médicastres et remboursé par la Sécurité sociale. Pharmacien, Frédérique l’était, qui dispensait concurremment aux pilules, cachets et autres baumes de jouvence dans son officine, rue de Montorgueil – elle existe toujours ! –, un “umour” hérité de Jacques Vaché, celui-là même qui passionna André Breton par ses Lettres de guerre. “Fred”, qui avait un certain goût pour la vie, mais ne supportait pas les déflagrations de la bêtise, se cachait derrière les rideaux du rire le plus dru pour échapper aux trop nombreuses ordonnances de la réalité. Il se suicida, mais ceci est une autre histoire. Pas tellement drôle, d’ailleurs...

 

Fils d’un commissaire de police – humour noir, donc – il avait l’amitié sûre, fréquentait d’étranges “Branquignols”, dynamiteurs de principes et diffuseurs de parfums nouveaux, pour qui il se mit à écrire, entre 1949 et 1957, des sketches diffusés par le “club de l’essai” à la radio – cet écran sans images : Boris Vian, Raymond Queneau, troglodytes du Tabou, l’y encouragèrent vivement. Des acteurs-prestigieux-en-devenir du grand village parisien : Juliette Gréco, Line Renaud, Hubert Deschamps, André Dussolier, François Perrier, Jean Carmet... les jouèrent, bidonnés. En ce temps, la radiodiffusion française avait du chien et Jean Tardieu pour promoteur. Tout avait la fraîcheur des commencements.

 

Frédérique, quant à lui, avait le don de la formule cinglante, du raccourci comique. On lui doit le mot ringard, tiré du sketch Bolduc et Ringard, dont le plus con fut le second. En ouvrant le présent recueil n’importe où – une boîte de Pandore –, on se fait le portrait d’un chic type, celui qu’on aimerait avoir pour copain : drôle, vachard juste ce qu’il faut pour écarter les embûches et repeindre les murailles, cynique et poilagrattant. Frédérique imagine les rues de Paris peuplées de “conduisants” et de “stationnants”, deux espèces complémentaires de la Création, pour régler définitivement les problèmes d’encombrements. C’est peu dire qu’il s’en fout. Mais il donne son avis. Les stéréotypes du comique boulevardier se font refaire par cet orfèvre de la tragédie-comédie express à l’usage des vrais et faux désespérés. L’acte III de Ciel mon mardi vaut le détour. Le voici, in extenso :

 

III L’acte bref

L’amant (à la femme) : Coucou !

La femme (à l’amant) : Coco !

Le mari (entrant) : Cocu !

 

Quelque chose de Jarry, non ? Frédérique fait l’éloge de la lobotomie, qui anesthésie Bill le matraqueur méchant avec sa femme, et visite l’agence Terminus, où les célibataires viennent se coucher parmi les cartes perforées du fichier des âmes sœurs. On croise des cocufiés, des assassins, des revenants, des poètes précoces, ainsi le petit Minet Drouot – tiens, tiens ! –, interviouvé par Gabriel Macreux de l’Académie française, et qui aimerait mieux jouer avec les copains : Mais moi je suis tout seul, / Lorsque le jour s’ennuie, / Dans la campagne qui s’enfuit. / Et je m’enherbe.

 

Voilà, on ne vous en dit pas plus. Il y a de la graine de Desproges dans ce terreau d’hier pour demain. C’est roboratif.  Les tristes sires n’ont qu’à bien se tenir devant cette assiettée de dragées au poivre.

 

Frédéric Chef

 

André Frédérique : Sketches inédits, Le Cherche-midi, coll. « Le sens de l’humour », mai 2014, 184 pages, 18,50 €

 

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