Légationville, l'excellence ratée.

Avice est une immerseuse. Beaucoup de mystères entourent ces personnes qui ont navigué dans l’espace, qui ont quitté Légationville, petit port commercial d’Ariéka, planète sur la bordure du monde connu. Jamais elles ne reviennent chez eux, l’appel du large les empoignant, guidant leurs rêves et leurs espoirs.

Mais Avice s’est mariée avec Scile. Cet universitaire, spécialiste des langues et de la communication, ne peut que vouloir découvrir la planète d’origine de sa compagne. Notamment cette race si particulière, les Ariékans, autrement appelée les Hôtes. Ceux-ci ont la particularité de discuter avec deux bouches mais un seul esprit, une seule âme. Pour communiquer, les colons ont d’ailleurs mis au point un système relativement audacieux, celui des Légats. Des jumeaux parfaitement compatissant l’un envers l’autre, raccordé par diverses machines leur permettant de ressentir exactement la même chose et de passer ainsi pour un même esprit.

Sauf qu’un problème reste de mise : les Ariékans ne connaissent que la vérité et le premier degré. Aucun mensonge, aucune contre-vérité, aucune métaphore. Ce qui est bleu ne peut être que bleu. Ce qui est comme du bleu est comme du bleu et l’un ne peut pas être l’autre. Or, lorsque le Brémen, la « métropole » de Légationville, envoi un nouveau Légat d’au-delà les étoiles, la situation se complique légèrement. Et Avice, par son statut d’immerseuse, côtoyant tous les grands de sa ville de naissance, se retrouve plus ou moins involontairement au milieu de tous ces événements.

 

À n’en pas douter, Légationville est un ouvrage surprenant. Prenons une métaphore, n’en déplaise aux Hôtes : avec brio, China Miéville s’est baladé dans les champs du savoir et de l’imagination, développant des idées magnifiques pour son récit, tel un fermier amoureux de ses produits. Tout sent le bio, le bon, le savoureux et en voyant cela, le futur consommateur sait qu’il se régalera.

Sauf que China Miéville décide de servir tous ces beaux produits dans son restaurant. Et il se trouve être un cuisinier de renom, l’idée n’est donc pas saugrenue. Il prépare une bonne recette, peaufine son menu en lettres d’or et appâte ainsi la foule vers son nouveau plat : ne dispose-t-il pas d’ingrédients exceptionnels ?

Dans sa cuisine, le chef décide de surprendre tout le monde. Et il perd tout. Sa mayonnaise met du temps à prendre. Tout a beau être parfaitement cuit ou assaisonné, rien ne tient. La crème est trop liquide, les légumes perdent leurs couleurs et la pièce montée penche vers Pise. Les aides-cuistots ont beau faire tout ce qu’ils peuvent, le serveur déployer tout son art, rien ne semble pouvoir sauver l’ensemble. Cela est des plus navrants car, à la base, tout était excellent !

 

Il me faut reconnaître que China Miéville sait écrire de superbes histoires. Celle qu’il raconte est magnifique et son univers, une fois le dernier chapitre lu, donne envie de s’y replonger. Mais il a fallu, pour en arriver là, se coltiner – et le terme est bien faible – plus d’une centaine de pages imbuvables. Tout est plus ou moins incompréhensible1. Les mots se présentent comme des phrases tout à fait correctes en français2, le scénario avance de manière classique, en fait tout va bien3. Sauf que quiconque décide, comme moi, de lire l’ouvrage sans même jeter un coup d’œil à la 4ème de couverture n’y comprendra rien4.

Il a fallu une relecture attentive et une réflexion poussée pour en arriver à ce constat : un problème de concept. Légat, Effectifs, Hôte, etc. L’auteur, comme s’il était débutant, déploie son univers sans en poser les bases. Ce qui est évident pour lui qui a vécu avec son idée durant des années peut-être ne l’est pas pour celui qui lit sa première phrase. Sans pour autant tomber dans l’enfantin, il aurait pu accompagner un peu plus son lecteur pour rendre le quart de son livre moins aride. Il aurait du même !

 

Finalement, je ne saurai que trop déconseiller cet ouvrage : le rapport souffrance/plaisir n’en vaut pas la peine. Un coup manqué qui, cependant, invite à donner une deuxième chance à China Miéville…

 

Pierre Chaffard-Luçon

 

1 : Je peux vous assurez d’une chose : ne péchez pas par orgueil, même un bon lecteur souffrira !

: le traducteur n’y est strictement pour rien.

: ou presque, la « voix » de l’œuvre n’est pas non plus transcendante…

4 : Celle-ci est facultative non ? Pourtant il a fallu poser les yeux dessus, agacé de ne rien comprendre sur des phrases mélangeant de manière grammaticalement absurde des singuliers et des pluriels, pour que finalement tout s’éclaire…

 

China Miéville, Légationville, Fleuve éditions, 8 octobre 2015, 490 p. – 21,90 €

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