Personnage de fiction et écrivain français (née en 1973) qui se fait connaître par la qualité de son écriture et de son univers et qui sort l'autofiction de sa médiocrité. Biographie de Chloé Delaume.

Certainement pas, le Cluedo littéraire de Chloé Delaume

Six personnages en quête de fiction engagés par une narratrice omnisciente pour souffrir des aliénations dérivées de la propre folie d'un auteur qui nie tout droit de cité à la fiction. Échantillonnez ces naufrages réunis par une équipe soignante d'un hôpital psychiatrique par un traité de narratologie, des fragments de journaux, des articles de dictionnaire ou de traités psychiatriques pour que le lecteur ne se sente pas perdus par un vocabulaire trop riche pour les usages - certaines diront volontiers abscons, mais « La langue ne se ploie pas. Elle reste irréductible, et c'est pour cette raison qu'à l'homme elle survivra » à bon entendeur les timides ! -, d'un morceau de bravoure en numérologie, d'une violente attaque contre la « République Bananière des Lettres », des questionnaires de Proust revus et corrigés, et des interruptions de récit soit par la narratrice omnisciente qui vient mettre un peu d'ordre dans son personnel ou donner un point de vue par Lettre aux Lecteurs, soit par l'inattendu Comité Central du Syndicat des Personnages de Fictions ou tel ou tel qui refuse ce diktat narratologique. Et encore, la phrase en elle-même est entrecoupée de murmures intérieurs comme autant de voix dans la tête qui marque le territoire de la folie, comptines, citations, etc. C'est foisonnant, délirant, extrapervertissant les normes et parfaitement maîtrisé, abouti.


Rien d'extraordinaire donc à qui suit le travail de Chloé Delaume, si ce n'est un retour de la mouflette et à l'arrachée de soi par l'autre plutôt que la prise en compte du Moi comme fictionnable (i. e. Corpus simsi).


Contentons les simples, qui veulent qu'un roman soit une histoire : six aliénés sont réunis par une équipe soignante et chacun se fantasme - ou bien est-ce un fantasme qui s'incarne en chacun ? -, être un personnage du jeu de société Cluedo™, dans lequel le professeur Lenoir a été tué (lequel professeur intervient aussi). Mademoiselle Rose dans la Cuisine avec la clé anglaise. Tout cela repris en main par une narratrice omnisciente qui fait avancer ses pions en jouant aux dés mais, à l'instar du Dieu d'Einstein et sans oublier le clin d'œil à Mallarmé, elle ne garde que les coups gagnants. Et l'enquête pour savoir qui a fait le coup est oubliée, tout le monde est coupable et perdu (« je ne peux pas guérir je ne suis pas malade. Je suis handicapée, c'est toute la différence. »). Six personnages qui sont autant de victimes expiatoires de la société pour chacun des maux dont ils sont l'illustration.


Au travers de ces prises de conscience de chacun qui conduit à la folie douce, Chloé Delaume stigmatise un rapport au monde, veule et gorgé par l'idéologie mercantiliste qui règne : ce ne sont pas des victimes, ils ont joué et se sont laissé dominer par la « matrice », au point d'être coupable de complaisance. Pour un écrivain qui ne se paie pas de mots, rien n'est pire sans doute que cette complaisance, ce reniement des valeurs pour atteindre l'autre côté, celui où l'on reçoit complaisamment, sans jamais de vérité dans les rapports humains. La folie, donc, comme unique vérité de l'homme.


Le style de Chloé Delaume est une surcharge référentielle constante qui bouleverse au départ les données de la narration, à la façon d'un Diderot de Jacques le Fataliste sous neuroleptiques, et la narration n'arrive pas indemne à l'arrivée. Les personnages aussi bien que le lecteur sont cabossés, tapés du dedans par une langue qu'il faut réorganiser en la découvrant, et plus le lecteur est cultivé, plus le jeu sera fin et distrayant, les références sont archi-multiples, soit en sous-titre clin d’œil et qui fait sens (« se souvenir peut-être des belles choses », « conversation sans loir ni chair », etc.), soit comme fondamental à la réflexion même de l'auteur (Lewis Carroll et ses personnages, Emma Bovary en personne, etc.). Un magma de lectures, de visages qui apparaissent et qui ne seront pas fiers de s'être lu si vil en son miroir de rencontres, mais c'est Chloé Delaume qui en organise le mouvement, qui dirige le flux vers sa propre métamorphose.


« Les seuls souvenirs qu'elle ait lui viennent d'objets littéraires, sauf qu'elle les perçoit comme réels. Ça non, je peux vous certifier qu'elle n'est pas psychotique du tout. C'est bien ça le problème. Elle a la mémoire fictionnelle. [...] Le plus étrange c'est que d'après ses proches ce n'est pas une intellectuelle, il y a des personnages qu'elle cite, des situations romanesques dont elle se rappelle très précisément alors que la famille comme les amis la pensent incapable d'en avoir lu les sources. »


Chloé Delaume a ce défaut magistral d'être une taie à l’œil unique et myope du « génie » moderne de la littérature française. On lui saura gré, en changeant d'éditeur, de n'avoir rien remâché de son délire. Quant à s'adoucir pour plaire aux édiles caciques rabougris pré-mortem, rassurez-vous, pour Chloé Delaume, c'est CERTAINEMENT PAS.


Loïc Di Stefano


Chloé Delaume, Certainement pas, Verticales, sept 2004, 368 pages, 20 euros

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