Personnage de fiction et écrivain français (née en 1973) qui se fait connaître par la qualité de son écriture et de son univers et qui sort l'autofiction de sa médiocrité. Biographie de Chloé Delaume.

Chloé Delaume & Daniel Schneidermann, Où le sang nous appelle

Est-ce la peur de rester seul ? Toujours est-il qu’il lui a envoyé un mail, à Rome. Une question astucieusement posée, une demande déguisée, une attirance alambiquée qui donnera des étincelles. Drôle d’histoire pour une rencontre – improbable. Mais c’est ainsi, le mariage de la carpe et du lapin eut bien lieu sous les ors de la villa Médicis…

 

Dans le jeu d’attirance des contraires, ils se sont donc bien trouvés. Elle écrit des livres et s’est fait un devoir de disparaître derrière son personnage public, il est journaliste et s’est spécialisé dans l’art de débusquer les filouteries étalées dans les médias comme autant de vérités à admettre sans rechigner. Elle ne veut pas de descendance, il a trois enfants ; sans parler de la différence d’âge. Mais qu’importe ! La foudre a frappé, ils iront de concert tenter de repousser la limite de validité sans se soucier de reste. Quitte à oser le grand nettoyage de printemps et chasser toute cette poussière qui dort sous le tapis des non-dits. Ce sera une plongée en apnée dans les abysses du bourbier libanais, ce pays confetti né d’une poussée de fièvre de quelques diplomates en mal de sensations qui, au lendemain de la Première Guerre mondiale, créèrent de toute pièce. La Syrie amputée d’une partie de sa région méridionale puis la déclaration Balfour et le virus pouvait à dessein se développer dans tout le Proche et Moyen-Orient au plus grand bonheur de l’Occident…

 

"La famille mène au népotisme [… elle] est le premier espace du mensonge." Il n’y a pas qu’elle qui manie la langue du serpent. Et certains ne l’entendaient pas de cette oreille, et les Arabes ne sont pas plus idiots que d’autres si bien qu’ils se sont toujours rebellés. Ainsi, un certain Georges Ibrahim Abdallah répondit au terrorisme d’État par les mêmes armes et organisa l’assassinat de diplomates israélien et états-uniens ; tout le moins dans la version officielle qui lui a valu d’être condamné à la réclusion perpétuelle et victime de ce qui semble désormais être une affaire d’État tant son dossier transpire la manipulation. Rien là de bien nouveau ; sauf que ce soldat de l’ombre s’avère être l’oncle de Chloé Delaume. Quant à son père, il tua froidement sa mère, pointa ensuite le canon du fusil sur la petite fille avant de le retourner contre lui et d’envoyer des morceaux de cervelle sur la gamine qui vit ce jour-là le monde disparaître sous ses pieds…

 

Il faudra tout (re)construire en inventant ce qui aurait pu, ce qui devrait être, avec comme seuls véritables amis, les mots. La Littérature comme seule compagne, seule guide, unique destination.
"Elle pense qu’elle aimerait bien être des mots la gardienne. Elle pense que ceux qui détournent les mots à leur profit saccage le dictionnaire. Elle voudrait tant veiller sur lui. Au commencement était le Verbe, la Fin est probablement proche, si elle a survécu, est ici étrangère, c’est qu’elle devra bientôt s’enfuir et protéger Le Petit Robert."

 

Daniel Schneidermann eut une enfance délicate mais il sut tirer son épingle du jeu et parvint très vite à se faire embaucher au Monde, alors tout jeune journaliste, mais déjà père de famille. Il couvrit les attentas perpétrés dans les années 1985-87 dans la directe influence d’Abdallah et partageait donc, sans le savoir, l’univers de violence dans lequel baignait Chloé Delaume. Passée maître dans l’autofiction au point de s’oublier telle qu’en elle-même, elle parcourra sa destinée à la vitesse d’une boule de flipper sans parvenir à dompter les rebonds, se retrouvant périodiquement à Saint Anne pour échapper à ses fantômes…

 

"Quelque part sous une terre gorgée d’hier fertiles, une poignée d’os frémis, pourtant fossilisés. Combien de myosotis faut-il pour une couronne, le pardon se cueille-t-il dans la boue des fossés, quelle parole peut guérir après amputation ; l’espoir peut être vivace à l’ombre des tombeaux."

 

Super Souris l’emmènera à la découverte de sa famille, ces drôles de Schtroumpfs, lui le justicier qui démasque les traîtres et portera sur ses larges épaules la responsabilité du possible de leur histoire, le mentor auquel l’écrivain a fait allégeance pour le bien de son corps (abandon des médicaments à fortes doses et autres joyeusetés) et de son compte en banque (fin des découverts chroniques et gestion responsable de son maigre pécule) ; la famille cachée dans le village de Kobayat, à la frontière syrienne, enfin visitée à l’été 2012, repositionnée selon les jouets d’enfance afin de la rendre moins menaçante, impressionnante, moins envahissante aussi…

 

Un livre coup de poing, entre le témoignage et la fiction, servi par une langue magnifiée à l’encre de sang, une langue vérité. Respect.


François Xavier

 

Chloé Delaume & Daniel Schneidermann, Où le sang nous appelle, Seuil, coll. "Fiction & Cie", septembre 2013, 360 p. – 21,00 €

3 commentaires

j'aime beaucoup ton bouquin chloe, moins ton association avec Shneidermann dans " ou le sang nous appelle" Merçi, 

thierry de Pontcharra

Chloe, " une femme avec personne dedans" un essai que j'aime beaucoup.. A bientot..

  thierry de Pontcharra ( photo perso prise dans" la vallée des rois" près de Louxor en Egypte) dans les années 90..

" le réel est hostile à ses survivants" c'est une des formules appartenant à ta syntaxe que je trouve  percutante, elle témoigne d'un vécu Bien réel et qui dépasse toutes les formes de fictions mal comprises..Merci thierry de Pontcharra ( photo perso prise à Varanasi en Inde)