Christian Bobin réinvente la musique du silence

La rentrée littéraire se fait aussi à la manière du off du Festival d’Avignon – comme d’ailleurs dans la majeure partie des cas –, c’est dans l’angle mort, à côté, derrière le tain du miroir des reflets de la certitude que se passe la réalité du monde, en Littérature également… Ainsi, Christian Bobin est-il célébré à sa juste valeur par un triptyque éditorial, à la manière de ceux qu’affectionnait Francis Bacon : un dernier livre, Pierre, à paraître en octobre, un Cahier Bobin qui paraît aux éditions de L’Herne et cet opuscule chez Folio qui nous fait la grâce de conserver les premières pages manuscrites de l’édition originale parue à L’Iconoclaste, éditeur qui porte si bien son nom qu’il en devient aisément évident que Christian Bobin fasse partie de son catalogue.

Voilà un auteur affranchi des circuits traditionnels, un marginal qui vit dans sa cabane au fond des bois et ne partage son temps qu’entre l’écriture et l’art de vivre, sans Internet ni portable, écrivant donc à la main, et pour ce qui nous concerne ici, des lettres, une manière d’affirmer sa résistance, clin d’œil à Philippe Muray dont les éditions Perrin rééditent en poche L’Empire du bien qui devrait être inscrit au programme des lycéens – on peut toujours rêver… ah oui, j’oubliais : plus personne ne lit, j’entends des livres d’auteurs, non des soupes trop sucrées pour d’éternels adolescents.
Nonobstant, fut un temps béni où les jeunes gens lisaient, Christian Bobin s’évadait ainsi du monde. Moi aussi, et c’est pour cela que je me retrouve tant dans ce petit livre à la force évocatrice si puissante. Lire est un billet d’absence, une sortie du monde. Mais à force on en arrive à oublier les contingences.
Absorbé par mon manuscrit j’en oubliais de compter le temps qui passait, et tout comme Bobin dont la mère lui présente des agents d’assurance pour l’extraire de son chômage pérenne, ma cousine tenta de me faire entrer à La Mondiale, quelle blague ! quand écrire s’impose, écrire – frapper l’une contre l’autre deux cymbales de silence.
Quand on est absorbé par la lecture, plus rien ne compte, mis à part, peut-être, écrire ; on n’attend plus rien du monde réel que des nourritures terrestres et quelques coups de boutoir pour maintenir la pression. Tout comme son père, je ne voulais rien comme cadeau à mon anniversaire. C’est vrai que c’est difficile de trouver rien. C’est hors de prix, loin du monde. Sans doute avais-je pressenti ce qui m’attendait à la capitale, qui, alors, me captivait comme le phare des naufrageurs…

Le bonheur est un meurtre. Et  il faut savoir renoncer pour aboutir à l’essentiel, comprendre ce temps imparti qui file plus vite qu’une poignée de sable dans une main ouverte. Un flocon de neige est le passeport de Christian Bobin, il ira donc vers la poésie pour tenter de capturer les instants que la vie, dans son inégalable élégance, cèdera de bonne grâce à celui qui prendra le temps de regarder autour de lui. La soûlante odeur du bois coupé – qui chez moi recoupe celle de l’herbe fraîchement tondue, vrillant mes sens dans une spirale de souvenirs d’enfance. Toute blessure franche, tout air d’opéra risqué par un oiseau et toute parole assez dense pour mériter le nom de poème font douter la mort d’elle-même.
Affrontez le signe indien, dîtes non et ouvrez ce livre. Vous ne regarderez plus le monde autour de vous de la même manière…

François Xavier

Christian Bobin, Un bruit de balançoire, Folio n°6680, septembre 2019, 96 p.-, 6,20 €

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