Dubravka Ugrešić revisite le musée du passé

La Yougoslavie était bien un kaléidoscope de peuples et un patchwork de cultures unies sous un seul et même drapeau, une manière de tisser une nation à partir d’un agrégat d’origines diverses ; cela aurait pu fonctionner comme la France fut construite jadis, mais dès la mort de Tito les empoignades à coups de fusils d’assaut mirent fin au mythe d’une seule et même âme slave des Balkans. Slovènes, Croates, Serbes, Monténégrins, Kosovars et Bosniaques laissèrent jaillir les frustrations créées de toutes pièces par l’empire ottoman (lire à ce sujet la préface d'Ismaïl Kadaré à La mort me vient de ces yeux-là, une des œuvres maîtresses de la littérature albanaise).

Dubravka Ugrešić prend prétexte du décès d’un éléphant dans le zoo de Berlin, en 1961, et du résultat de son autopsie – son ventre contenait toute une panoplie d’objets insolites – pour nous conter la mosaïque des possibles rendue réelle par le biais des flux migratoires et du métissage des peuples au gré des rencontres, des amours, des destins. Une image, un souvenir, une odeur, un plat ; autant de détails qui permettent de dérouler la pelote...  Une manière légère d’aborder la gravité des temps actuels où chaque migrant est pointé du doigt comme un ennemi potentiel.

Dans le milieu du siècle passé, franchir les frontières n’était pas chose aisée non plus, mais les mœurs et la bienveillance, la politesse et la mentalité étaient tout autre, si bien qu’une jeune femme pouvait envisager un long voyage sans trop de risque. On se contentait de peu, on vivait de rien, et le temps ne semblait pas aussi compressé qu’aujourd’hui.
Il y a dans ces récits une nostalgie qui plane, une odeur d’ailleurs, un plaisir du passé qui nouent les tripes et donne à la lecture une joie pétillante, comme lorsque l’on feuillette un album de photos ancien, dont on ne sait pas grand-chose mais dont on devine à l’allure des personnages, à l’humeur qui s’en dégage, un bonheur candide, une allure fière et l’honnêteté des instants partagés loin des tumultes de l’Histoire. Un plaisir vif du temps présent, ainsi immortalisé pour l’éternité, par le cliché ou les mots…

 

Rodolphe
 

Dubravka Ugrešić, Le musée des redditions sans condition, traduit du croate par Mireille Robin, coll. Titres, Christian Bourgois éditeur, octobre 2020, 396 p.-, 9 €

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