"Beyrouth", un livre phénix de François Xavier et Christian Jaccard, qui renaît à chaque lecture

L'année 2009 vit Beyrouth désignée par l’UNESCO Capitale mondiale du livre. C’est son tour. Après Madrid (2001), Alexandrie (2002), New Delhi (2003), Anvers (2004), Montréal (2005), Turin (2006), Bogota (2007) et Amsterdam (2008).
Coup de projecteur sur le Proche-Orient dévasté pour ne pas l’oublier. Ne surtout pas penser qu’il ne s’y passe que des guerres. Et surtout au Liban. Car c’est au Liban que la première presse du monde arabe a vu le jour. Dans un monastère d’une vallée sinueuse, au XIXe siècle, des moines français ont importé cette fameuse presse d’imprimerie... Le livre moderne allait alors prendre son essor.
Est-ce pour cette raison que Beyrouth allait devenir la capitale culturelle de la région ? La ville de tous les poètes maudits, des parias, des réfugiés politiques, des dramaturges, des romanciers, etc. ?

Le communiqué officiel précise que la ville de Beyrouth a été choisie "pour son implication en matière de diversité culturelle, de dialogue et de tolérance ainsi que pour la variété et le caractère dynamique de son programme." De son côté, le Directeur général de l’UNESCO s’est réjoui de "Beyrouth, confrontée à des défis immenses en matière de paix et de coexistence pacifique(...) reconnue pour son engagement en faveur d’un dialogue plus que jamais nécessaire dans la région, et que le livre puisse y contribuer activement.
Le lancement de cette Journée mondiale du livre et des événements culturels associés à Beyrouth eut lieu le 23 avril 2009 à l’UNESCO. Sous l’égide de la délégation libanaise présidée par l’ambassadeur Sylvie Fadlallah et en présence du ministre de la Culture, Tammam Salam.

 


 

Deux larrons se sont retrouvés pour nous jouer un tour à leur façon et marquer d’une pierre blanche cet événement. Deux amoureux des mots et des livres. Deux passionnés des beaux objets. Deux artistes fascinés par l’Orient et la Méditerranée qui voulaient célébrer Beyrouth et cette année 2009.
Pour ce faire François Xavier & Christian Jaccard ont réalisé à cette occasion un livre-objet. Qui porte en lui tout le poids d’une histoire mouvementée et la force d’un espoir illimité. Traversée par le feu, la poésie est gravée sur le vélin d’Arches comme témoin immortel d’une période transitoire qui doit absolument transformer la ville phénix en phare de l’humanité.

François Xavier, lauréat du prix Théophile Gautier de l’Académie française en 1999, pour son recueil De l’Orient à l’amour, renoue avec sa fibre orientale. En 44 stances il dépeint la genèse de la ville. Son agonie. Sa renaissance. Il parcourt ses rues griffées. Se joue des reflets dans ce sang qui piqua de nervures noires l’albâtre de ses avenues fantômes. Se remémore cet abri silencieux, devenu du fait de l’échec et du temps, la tombe hurlante d’une génération sacrifiée. Il questionne ce livre qui unit les frères le jour et les divise la nuit. Il célèbre l’insouciance qui mena à organiser des fêtes sous la pluie des bombes. Il n’oublie pas le félon qui s’imposa. Ni les voisins trop gourmands. Il pleure sur septembre à Chatila ; quand l’acier tordu fondit sous la chaleur du plomb assassin.
Et si Beyrouth se parjura. Si Beyrouth pactisa avec le diable à six têtes, Beyrouth releva la tête et aima la rosée des brumes matutinales. Et elle enfanta à l’ombre des pins l’ère du possible.
C’est ce que l'on fêta en cette année 2009 pour qu'elle soit l’année des possibles à Beyrouth. Mais pas seulement. Pour tout le Liban. Et toute la région... 

Compagnon d’inventaire, partenaire de création, Christian Jaccard est intervenu dans ce livre par le biais du processus de combustion. Il trouva, voilà quelques décennies, son inspiration dans les symptômes, les rêves et les obsessions qu’il percevait dans son environnement quotidien. Voire auprès des différents corps de la nature. Du feu, noyau générateur d’énergie et de lumière aux nœuds et entrelacs de l’origine du temps, il développa la filiation de ces processus respectifs en confrontant l’évolution de leur matérialité et de leur entropie. 

Dès 1973 ses œuvres calcinées par des outils de mèche combustibles altérèrent la couleur, déstructurèrent les supports et calcinèrent leurs textures (métaux, bois, toiles, papiers ...). Puis à partir de 1989 il passa de la combustion cryptée à la pratique des brûlis associant/alternant l’ignition en expansion aux forces d’inertie du concept supranodal (qu’il inventa en 1960 par la confection d’outils de cordelettes nouées).

Christian Jaccard interroge donc l’usure du temps qui ne cesse de dégrader l’événement dans sa durée par délitements successifs. Ses brûlis, principes actifs et entrelacs, sont bien des événements agissants qui tissent leurs trames spécifiques dont les énigmes respectives se répondent en écho...

Sept actions magistrales ponctuent ce livre-là ! Sept actions originales qui font que tous les livres sont différents. La couverture est réalisée avec des lettres métalliques brûlées au pistolet thermique. Les combustions qui jalonnent les poèmes sont réalisées à la mèche lente. Ce livre se lit et se sent, finalement. Car à l’ouverture c’est aussi son parfum qui vous enivre. Vos doigts courent sur le vélin. S’amusent de la barbe. Vos yeux pétillent à suivre les planches. Admirent la réalisation de François Huin, la typographie au plomb. Votre odorat se régale de cette fragrance si particulière.
Un livre phénix qui renaît à chaque lecture. Apportant question et réponse. Sensation et émotion. Réflexion et constat. Espoir et avenir.

 

Annabelle Hautecontre

 

François Xavier & Christian Jaccard, Beyrouth, à cœur et à cris, Les éditions du Pyronaute, janvier 2009
In-4 (255 x 165) 32 p. en feuilles, couverture originale brûlée, étui en bucrane noir réalisé par Dermond-Duval, édition comportant sept combustions originales de Christian Jaccard
20 exemplaires numérotés et signés + IV exemplaires hors commerce ; imprimés par François Huin, typographe à l’Hayes-les-Roses sur vélin d’Arches 250 g ; couverture en vélin d’Arches 300 g

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