Signa Mentis : une installation de Christian Jaccard en Picardie

Sublime et étonnant art contemporain qui n’a de cesse de brouiller les cartes pour mieux perdre son public dans les méandres nauséabonds de la spéculation : il y a désormais les artistes de cour et les artistes tout court, les courtisans et autres escrocs (Buren et ses colonnes du Palais royal, ses kilomètres de toiles bariolées pour célébrer Valmy ou encore le mât de cocagne de la place Estienne d’Orves à Marseille, merci Jack Lang et Mitterand – ou Boltanski qui entasse des vêtements pour enfants sur des étagères métalliques et collectionne les annuaires internationaux dans une salle dédiée du musée d’Art moderne de la ville de Paris : de qui se moque-t-on ?!) ; et puis il y a les rêveurs, les pourfendeurs d’interdits, les maladroits, les innocents, les chasseurs d’étoiles et les magiciens. Christian Jaccard est de cette trempe, habité par deux obsessions : la quête du temps et l’instantané ignigraphié.

 

Après nous avoir enchantés par son exposition itinérante Énergies dissipées, qui, de juin 2011 à janvier 2012, s’est déployée du Domaine de Kerguéhennec, à la Villa Tamaris (La Seyne-sur-Mer) puis au Centre d’art contemporain de Colmar, il fut, en octobre 2012, l’un des artistes phares de la onzième Nuit blanche parisienne qui ouvre l’accès au public à différents lieux, accueillant pour l’occasion des œuvres d’art. Jaccard fut invité à appréhender l’espace de l’escalier d’Honneur de l’Hôtel de ville avec une fresque calcinée et une statue de nœuds…




Car l’œuvre de Christian Jaccard, plus souvent connue et référencée autour de son travail sur la combustion de tableaux et de livres, s’articule aussi sur un second plan tout aussi important et passionnant dès que l’on pénètre les arcanes de ces boîtes déconcertantes mais si indispensables… car elles sont autant d’indices de pensée(s) qui nous forcent à l’interrogation, nous incitant alors à ouvrir un peu plus notre champ des possibles, c’est-à-dire à penser autrement. Où l’art devient une œuvre de salubrité publique par les temps qui courent…

De quoi exalter l’hôte d’honneur au soir du vernissage parce que tous ces indices de pensée [vont] quitter quelques temps l’ombre de leur isolement pour être mis en lumière et au grand air. Ainsi ils nous diront encore par leur exhibition physique que l’excellence du hasard concret est un opérateur d’écart qui met en œuvre toutes ces singularités actives. Dans ce parcours de l’improbable né de pulsions nomades et sporadiques c’est l’immanence des textures et des traces qui sont mises à l’épreuve, qui règnent et qui triomphent.



Alors de quoi s’agit-il ? D’un ensemble hétéroclite de boîtes à outils, exposées sur une immense table au centre du Grand Salon du musée d’Amiens. Emblématique de l’histoire des musées, offrant dès son inauguration en 1867 un modèle du Palais des Beaux-Arts tel qu’il est décliné à Rouen ou à Lille, le Musée de Picardie reste aujourd’hui, avec ses quatre départements (Beaux-Arts, art contemporain, archéologie, collections médiévales et objets d’art), un des plus riches musées de région. Désormais (re)connu pour ses irrévérences salutaires à marier les époques, après Wang Du (2006), Gerwald Rockenshaub (2008), Jeppe Hein (2009) ou encore Ghislaisne Vappereau (2012) puis Michel Paysant l’an passé, le choc des écoles s’invite derechef pour une présentation contemporaine au sein de tableaux anciens, ébranlement des habitudes qui pimente le propos et pique la curiosité : ces ustensiles détournés par l’habileté des doigts de l’artiste qui a noué, encore et encore, d’étranges fils, cordes, filins pour leur donner des formes inhabituelles ou leur adjoindre des appendices, des fonctions, des rôles impossibles avant de les peindre, les brûler, les orienter vers d’autres desseins et ainsi rebattre les cartes une nouvelle fois. Un tressage qui magnifie jusqu’à édifier certaines pièces en totem et d’autres en bijoux, montrées à l’air libre, dans des boîtes ou des vitrines : le mélange des genres participant à l’intelligence du montage qui déclenche, au détour d’une découverte, une profonde émotion, un grincement, une révélation. Émoustillé, dérangé, retourné, conquis, le spectateur ressort de ce grand tour de table avec des étincelles dans les yeux. Alors il ira dans la salle d’à côté s’asseoir devant un écran blanc pour suivre la projection des diapositives qui liste, une à une, ces étranges boîtes de Pandor.

 

Il s’agit d’activer au fil du temps le concept des boîtes à outils comme étant l’expression d’un contexte à double détente ou à double jeu c’est selon. Entre occupation et préservation, entre masse et espace, entre improbable et insaisissable le concept se conçoit tel qu’il s’impose à moi au gré des aléas et de leur caractère temporel…

 

Ces Boîtes à outils (dans les 290 pièces), conçues depuis 1972, sont autant de témoins d’une expérience subjective de la notion de hasard multipliée par le coefficient issu des rencontres, des caprices du matériau ou des prouesses de l’artiste. Elles deviennent alors les catalyseurs d’une pensée nomade que Christian Jaccard s’impose depuis toujours, refusant l’enfermement dans le dogme. Ainsi, il ose s’approprier leur énigme et se questionne sur ce temps indispensable à la (re)naissance d’une idée, au symbole de sa disparition – puis de son retour, et pourquoi maintenant ? Témoin de cette perte : un outillage aux ramifications improbables et/ou insolites.

 


Mais après avoir façonné l’objet, s’impose le devoir de conservation : le temps, encore lui, juxtapose son pouvoir sur l’idée d’une trace indicible mais importante. Il va falloir trouver le moyen de briser l’horloge, si bien que la boîte s’est imposée tout en se moulant dans le courant du moment : elle ne sera pas qu’un simple récipient. Selon l’humeur, elle se matérialisera dans l’accompagnement, solidaire des ces fibres nouées, entrelacs organiques doués d’une âme puisque l’artiste leur a façonné un destin, habillant tel Degas sa danseuse, ces ensembles hétérogènes pour leur offrir des allures précieuses, démontrant la non-importance du matériau à partir du moment où la démarche a un sens. Clin d’œil à tous ces artistes d’Afrique qui façonnent des merveilles à partir de matériaux de récupération, mais le recyclage peut aussi se deviner dans l’esprit, les idées anciennes ne sont pas réactionnaires par principe, et tout ce qui est nouveau n’est pas la seule et bonne solution ; tout n’est question que de dosage…

 

Le catalogue, français/anglais, qui accompagnera cette exposition est en cours de finition, on vous en reparlera à sa parution : SIGNA MENTIS, 300 pages, 229 photographies (préface de Paul Ardenne, entretien de Sabine Cazenave avec Christian Jaccard).

 

François Xavier

 

SIGNA MENTIS – Une installation de Christian Jaccard : 18 avril au 22 juin 2014

Musée de Picardie / 48, rue de la République / 80000 Amiens / Tel : 03 22 97 14 00

www.amiens.fr/musees

 

Crédit photos : "Signa Mentis", installation de Christian Jaccard dans le Grand Salon du Musée de Picardie.
@ADAGP Paris 2014


Quelques dates :

• Jeudi 15 mai 19h : conférence gratuite autour de l’œuvre de Christian Jaccard

• Dimanche 1 juin 15h : visite en famille gratuite, Histoires de boîtes

• Mardi 3 juin 15 h : une œuvre, une heure, le choix du conservateur

• Jeudi 19 juin 19h : conférence gratuite par Hubert Besacier, critique d’art

Quelques photos in situ :





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4 commentaires

Bel article, et en effet, Buren, cet indigent, va encore nous prendre la tête en 2014 :

1- Là où Buren passe, l’art trépasse…
…Le sujet est d’actualité puisqu’on nous annonce pour l’année 2014  deux grosses expositions Buren : l’une au Musée de Strasbourg et l’autre au MAMO de Marseille…

« Ce n’est pas Philippe IV qui a fait Velasquez, ce n’est pas La IV e République qui a fait Georges Braque, mais c’est bien  la Ve République qui a fait Daniel Buren » – écrit Marie Sallantin (1) … Oui, Buren est bien un pur produit de l’appareil institutionnel français. Il en est même l’emblème, la figure de proue, la clef de voûte et la gloire nationale depuis près de quarante ans. Il est donc l’artiste « pompier » par excellence, mais à cette différence près avec les peintres « pompiers » du début du 20e siècle, que lui,  se déclare anartiste, anti-art, anti-peinture et donc anti-pompier, parce que son talent de médiocre peintre au départ, n’est évidemment plus dans la peinture – même, mais dans cette capacité extraordinaire qu’il possède de pouvoir activer  les mécanismes de reconnaissance et de légitimation avec du pur rien, avec de la non-peinture, avec une sorte de béance d’art et avec, comme le disent ses fidèles exégètes, « un questionnement permanent des limites de la peinture ». .. Un questionnement en soi, pour soi, entortillé sur soi et sans réponse possible… un questionnement sur les limites de la crétinerie sans limites des adeptes de l’AC, disent les mauvaises langues…un questionnement donc qui peut durer indéfiniment comme inépuisable et confortable rente de situation pour lui et à perpétuité… Et ça, il faut bien le reconnaître, c’est très fort ! Bravo l’anartiste !

Et cela fait quarante ans que cet artefact, ce fibrome, cette anomalie, cet effet Larsen, cette boursoufflure exponentielle du rien, accapare et subjugue les dispositifs et l’argent publics…Et cela continue  pour l’année 2014, avec deux grosses expositions Buren : l’une au Musée de Strasbourg et l’autre au MAMO de Marseille…Et pourquoi pas au Louvre en 2015 ?… Cela se poursuit  donc de plus belle, ou plutôt de pire en pire, puisque, s’il était possible de reconnaître quelque rigueur théorique ou sobriété esthétique à sa démarche première des années 70, nous assistons maintenant à toutes sortes de déclinaisons  colorisées (2) des bandes verticales initiales, avec parasols, machins électroniques, machines  optiques, miroirs et multiples autres laborieux dispositifs de mise en spectacle, où le gigantisme et la démagogie vont de paire avec l’indigence formelle et l’incapacité foncière à comprendre ce qu’est l’art.

Le piège tendu à l’institution par notre « outilleur visuel » national, est certes très rudimentaire, ( et si Buren n’avait pas existé, on en aurait bien trouvé ou inventé un autre, puisque Duchamp en avait déjà conçu le format), mais cette  stratégie simpliste de non contenu in situ pour mieux mettre en valeur le contenant environnant s’est avérée imparable dans sa simplicité…Quelle aubaine en effet pour un contenant ou pour un véhicule que de transporter du rien à voir, pour qu’on ne voit que lui, et pour enflammer les medias à son seul sujet ! Quelle satisfaction de disposer de cette proposition artistique  minimale pour pouvoir fédérer et faire lien corporatiste entre des fonctionnaires et des spéculateurs qui ont justement en commun cette minimalité de pensée et de ressenti artistique ! Quelle chance pour un discours sur l’art, de n’avoir plus aucun objet extérieur à lui, et de pouvoir  s’épanouir  en pure ivresse auto célébratoire langagière ! Quelle bonheur pour la spéculation tant financière qu’intellectuelle de voir ainsi le dire  prendre  le pouvoir sur le faire ! Quelle bonheur pour un inspecteur à la création de ne pas avoir de création à inspecter pour mieux se sentir créateur lui-même au lieu des vrais ainsi disqualifiés par l’entourloupe burénienne !…Quel filon pour les imposteurs dont parle plus loin  Eric Emmanuel Schmitt ( paragraphe 6) ! Quelle formidable encouragement  pour ce grand marché du vent qu’est le business art contemporain!

La suite ici :

http://www.schtroumpf-emergent.com/blog/

trois nouvelles photos mises en ligne...

article qui s'accompagne désormais d'une vidéo de +6' qui détaille l'exposition...

le 9 décembre 2015 de 18h à 21h
à la librairie Mazarine, à Paris.
Signature de l'ouvrage et rencontre avec l’artiste Christian Jaccard