"Les Insulaires", au cœur du rêve


Aimer l’écriture de Priest est naturel pour un amateur de science-fiction. Pourtant, en parler est très difficile pour un critique, comme si quelque chose chez notre auteur se dérobait à l’analyse. Tentons avec Les Insulaires d’expliquer pourquoi Priest est si singulier, si attachant, si talentueux.

 

Tourisme littéraire

 

Un guide touristique, un Lonely planet de l’archipel du rêve (le recueil est paru chez lunes d’encre dans une version augmentée et retraduite en 2004, à nouveau augmenté d'une nouvelle dans l'édition folio de 2011), voilà à quoi ressemble au premier abord Les insulaires, nouvel opus de Christopher Priest, l’auteur du mythique monde inverti. On y retrouve des descriptions des îles de l’archipel, avec des informations sur le climat, la faune (notation spéciale pour le Thryme, insecte très venimeux) et des personnalités célèbres, tel Kaine, une des héroïnes de la négation, une des premières nouvelles du cycle de l’archipel du rêve publiée en 1978.

 

Entre ces notices de factures touristiques viennent s’intercaler des nouvelles mettant en scène des personnages, nouveaux ou déjà croisés tel l’écrivain Chasterton. Christopher Priest est connu pour son goût des intrigues complexes, non linéaires. Il s’en donne ici à cœur joie et, après un début laborieux (on se demande vraiment à un moment si on ne s’est pas trompé d’ouvrage), le roman adopte un rythme satisfaisant, voire envoûtant. On décèle des échos du Prestige, à travers l’histoire du mime commis et la description du milieu théâtral de l’archipel du rêve.

 

De la narration de Priest

 

Priest se pose dans tous ces livres la question de la perception de la réalité et de ses effets sur la construction narrative. Le regard posé par les personnages sur une même histoire peut être complètement différent : c’est par exemple un des sujets du Glamour, raconté de trois points de vue différents. Dans Les Insulaires, c’est le personnage de Chaster Kammerton qui constitue le pivot du récit. Il est l’auteur de la préface du guide, est l’objet d’une lettre testamentaire de son frère (son jumeau) qui révèle sa vérité sur lui. Il est même suspecté (Priest ne tranche pas) d’être le meurtrier du fameux mime Commis. Tout cela à travers un guide qui reparaît avec sa prestigieuse  préface plusieurs années après sa mort.

 

La multiplicité des regards et ces jeux de miroirs réussissent à nous attacher et à l’histoire et aux personnages. Ici, nous ne sommes pas loin de la « métalittérature », avec un auteur extrêmement conscient des possibilités que lui offrent des constructions narratives sophistiquées. On me dira que Les Insulaires ne peuvent être lus sans au préalable avoir lu les nouvelles de L’archipel de rêve. Alors un peu de folie, lisez les deux livres. Priest, descendant lointain de Graham Greene et de Ballard, le mérite.

 

Sylvain Bonnet

 

Christopher Priest, Les insulaires, Denoël collection lunes d’encre, traduit de l’anglais (GB) par Michelle Charrier, août 2013, 23 €

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